Metzger sort de son trou - Thomas Raab
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La bannière qui ceint l’ouvrage titre : ATTENTION POLAR AUTRICHIEN !
Cette mise en garde, aussi claire que nébuleuse, nous pousserait à confier illico l’objet aux services de déminage de la capitale de l’Autriche et à adopter tout aussi vite la politique de l’Autriche…pardon, de l’autruche.
Le héros, plutôt l’anti-héros de ce roman joyeusement noir se nomme Willibald Adrian Metzger. S’appeler Metzger, littéralement le « charcutier » en allemand, n’est pas vraiment un atout quand vous fréquentez les bancs du lycée, la terminale B promo 1980 pour être précis.
Willibald Adrian Metzger, restaurateur de meubles anciens, passe tout son temps ou presque dans son atelier avec sa bouteille de rouge. C’est un paisible, un timide, peu de besoins, pas de voiture ni téléphone portable. L’appartement qu’il occupe au troisième étage d’un immeuble qui en compte trois précisément se situe non loin de son atelier, il n’a qu’à traverser le jardin municipal pour s’y rendre.
Un soir, comme tous les autres soirs d’ailleurs, chaussé de ses vieux souliers paternels en peau de porc, il se traîne sur le chemin pierreux qui traverse le jardin à déjections canines pour rentrer chez lui lorsqu’il trébuche et s’étale.
Ce n’est malheureusement pas une malheureuse pierre ou un vulgaire caillou qui est responsable de sa chute. C’est pire, bien pire et tout simplement inconcevable ! Il a heurté le cadavre de Felix Dobermann, un ancien camarade de cette fameuse terminale B promo 1980. Camarade n’est pas le mot approprié puisque Metzger était le souffre-douleur unique et préféré du cadavre à ses pieds. En cet instant privilégié lui reviennent en mémoire les dérouillées mémorables que lui flanquait le gisant inerte. D’ailleurs, Metzger, en observateur avisé, constate que Dobermann n’a pas changé, abstraction faite du gigantesque cure-dent planté dans son œil gauche.
Contraint de signaler l’incident aux forces de l’ordre, il atterrit dans le poste de police le plus proche. Et qui y officie en qualité de commissaire, qui ? Pospischill, un autre ancien de la promo 1980. Vingt-cinq ans sans croiser un seul condisciple et deux d’un coup en l’espace d’une heure. C’est dingue !
Accompagné de Popischill et de deux policiers, il s’en va leur indiquer l’endroit où il a découvert le corps. Et de corps, il n’y a plus. La crédibilité de Metzger en prend un coup d’autant que Popischill a flairé l’haleine chargée de vin rouge que dégage le pauvre Metzger qui se voit gentiment conseiller d’aller se reposer.
Willibald Adrian Metzger ne l’entend pas de cette oreille, peu importe laquelle et va se muer en restaurateur-enquêteur. Il n’a pas quand même pas rêvé !
Ce roman noir qui n’a de sombre que la couverture sur laquelle on voit une chaise bancale et branlante dont on imagine aisément qu’elle va reprendre vie dans les mains expertes de Willibald m’a beaucoup amusé et fait sourire. L’idée d’un restaurateur de meubles anciens, timide, introverti qui se transforme, à son corps défendant, en enquêteur maladroit, pataud, hésitant mais à l’intuition parfois géniale et au pouvoir de déduction tantôt lamentable tantôt remarquable est séduisante. Un personnage attendrissant et attachant, rondouillard et opiniâtre qui me fait penser au regretté Jacques Villeret dans « Le dîner de cons » de Francis Veber.
Au travers d’une intrigue assez embrouillée, Thomas Raab nous livre le portrait d’une Autriche froide, rigide et plate et il faut creuser profond pour atteindre la couche tendresse et amour, sentiments enfouis mais bien présents. Il y a des êtres chaleureux qui ne s’encombrent pas de mots, ainsi, Wollnar, polonais, gardien de l’immeuble où habite Willibald.
Quand je parle d’intrigue embrouillée, cela est dû en partie aux très nombreux patronymes autrichiens auxquels nous ne sommes pas familiarisés. A la question : qui est qui et fait quoi, la réponse n’est pas nécessairement évidente. Tous les élèves de cette fameuse terminale B promo 1980 sont les protagonistes du roman, cela fait beaucoup.
Selon moi, les grandes qualités de « Metzger sort de son trou » sont les dissertations incessantes de Metzger sur tout et sur rien, de vraies perles criantes d’évidences oubliées, les maximes de ses parents disparus qu’il reprend à son compte et qu’il exprime davantage pour lui-même que pour autrui, cette nonchalance qu’il trimballe comme une seconde peau et ce désir inextinguible de comprendre et de saisir des événements qu’il ne maîtrise pas.
Il serait réducteur d’affirmer que ce polar n’est que drôlerie, il est aussi l’affirmation que nous ne pouvons pas vivre dans notre trou.
« Pourtant nous avons besoin les uns des autres, nous avons besoin de l’encouragement et du rejet, de la haine et de l’amour. Tous seuls, nous sommes des pièces de puzzle égarées. Seuls, nous sommes insignifiants. »
« Metzger sort de son trou » est le premier volume traduit en français d’une série qui en compte six. Si je comptais Corinna Gepner, qui réalise un travail de traduction fantastique, parmi mes connaissances, je lui demanderais d’activer quelque peu la traduction du deuxième volume.
En conclusion, puisqu’il en faut une, une lecture intelligente, intéressante, un livre que l’on ne donne pas, que l’on ne range pas dans un endroit inaccessible mais que l’on reprend au contraire volontiers pour lire de ci, de là, quelques digressions humoristico-philosophiques de notre désormais très cher et bien-aimé Willibald Adrian Metzger.
Metzger sort de son trou
Metzger muss nachsitzen
Traduit de l’allemand (Autriche) par Corinna Gepner
Carnetsnord, 2013
Éditionsmontparnasse