Tranchecaille - Patrick Pécherot

Publié le par Jean Dewilde

Tranchecaille - Patrick Pécherot

Chemin des Dames, 1917, l'offensive du général Nivelle tourne à l'hécatombe. Dans l'enfer des combats, un conseil de guerre s'apprête à juger le soldat Jonas, accusé d'avoir assassiné son lieutenant. Devant l'officier chargé de le défendre défilent, comme des fantômes, les témoins harassés d'un drame qui les dépasse. Coupable? Innocent? Jonas est-il un simulateur ou un esprit simple? Le capitaine Duparc n'a que quelques jours pour établir la vérité. Et découvrir qui est réellement celui que ses camarades ont surnommé Tranchecaille.

Je vous l’écris d’emblée, c’est les dents serrées et les mâchoires soudées que j’ai lu ce roman. Au-delà de l’enquête menée par le capitaine Duparc qui cherche désespérément des indices susceptibles d’innocenter et de disculper le soldat Jonas dont le sort est déjà scellé dans les hautes sphères de l’autorité militaire, c’est l’horreur nue et absolue de la guerre dans les tranchées dans lesquelles nous plonge l’auteur.

Comme le confie un lieutenant au capitaine Duparc : «…Qu’est-ce que la guerre pourrait arranger aux hommes qui se déboussolent ? Ce qu’ils ont vu ici, ils n’en parleront jamais parce qu’on n’a pas forgé les mots pour ça. Quant à l’effacer le temps d’une permission, ils verront toujours l’innommable. On n’accroche pas l’horreur au portemanteau comme un paletot. Elle s’incruste dans la peau... ».

Les chapitres sont courts, ce qui les rend d’autant plus percutants et incisifs. Il y a le défilé des témoignages des camarades de régiment de Tranchecaille, les dépositions des officiers l’ayant eu sous leurs ordres, les combats sur la zone de front, les interventions désespérées dans les hôpitaux de campagne.

Le langage est direct, cru, d’une justesse impitoyable, tel ce chirurgien qui gueule :

« …Je ne peux pas ! Je ne peux pas ! Je-ne-peux-pas !

Je-ne-peux-pas ! Bordel de nom de Dieu ! Que voulez-vous que je fasse ? Et cessez de me regarder ainsi, ma sœur. Vous voyez bien qu’il est en bouillie. On ne sait même plus de quel côté le prendre. Merde ! Suis chirurgien. Si on doit reconstituer les types à partir de rien, qu’on enrôle des archéologues. Peuvent pas exiger l’impossible. Personne. »…

« …Depuis soixante-douze heures, j’opère sans débander. J’ai tranché plus de viande qu’un équarrisseur. Je patauge dans le sang comme vos Hébreux dans la mer Rouge. Et c’est maintenant qu’on m’amène un type dans cet état ? Mais que voulez-vous recoudre ? On veut nous faire rafistoler des hommes ! Voilà. Nous sommes les ravaudeurs de l’humanité. »…

L’auteur jette aussi un regard froid sur la relation entre soldats permissionnaires et civils, ces derniers ne pouvant imaginer un instant les conditions de survie de leurs compatriotes dans le labyrinthe des tranchées. L’état de délabrement physique et psychique de ces hommes bataillant au front les remplit d’effroi et les fait se tenir à bonne distance. Pour les civils, ces tout jeunes soldats ne font que leur devoir, ils ne sont en rien des héros. Cette dichotomie est effarante et magistralement restituée.

Et cette phrase qui clôt le livre : « Les vagues d’assaut auront gagné cent mètres. Un communiqué annoncera une percée foudroyante. »

Il y a de ces livres que l’on dit nécessaires. Pour ma part, Tranchecaille est indispensable tant l’atmosphère qui imbibe ce roman confirme dans toute sa splendeur l’absurdité de la guerre, la folie et la bêtise des hommes qui semble ne devoir jamais s’arrêter.

Il est à noter que ce roman a reçu le Trophée 813 du meilleur roman francophone 2009.

Il y a bien longtemps, j’ai lu le fabuleux roman d’Erich Maria Remarque, « A l’ouest, rien de nouveau ». Paru en 1929, le 29 janvier précisément, Le roman décrit la Première Guerre mondiale vue par un jeune soldat volontaire allemand sur le front ouest. Je me suis fait la promesse de le relire cette année encore.

Tranchecaille

Patrick Pécherot

Éditeur : Folio (23 avril 2010)

Collection : Folio policier

320 pages

Publié dans Le noir français

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V
Mon ami Jean, tu as le chic pour nous présenter des romans qui sortent des sentiers battus. Celui là, sorti il y a quelque temps, avait échappé (comme d'autres) à mon attention. Merci de réparer ce manque et je note ce Tranchecaille dans ma liste de souhaits...<br /> La bise, l'ami...
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J
Mon ami Vincent,<br /> Comment pourrions-nous suivre toutes les sorties littéraires, en particulier les polars ? Impossible n'est pas français mais tout de même. C'est un peu comme si tu demandais à un soldat allemand de compter au travers de ses jumelles le nombre de navires qu'il aperçoit soudainement sortir de la brume le matin du 6 juin 1944. La bise, mon ami.