Les instruments de la nuit - Thomas H. Cook
Une bière brassée avec savoir se déguste avec sagesse.
Cette petite phrase brassicole pourrait être transposée aux romans de cet immense écrivain. Après Les feuilles mortes (2010) et Interrogatoire (2007) pour la traduction française, j’ai choisi un titre publié à la fin du siècle dernier, 1998 précisément.
Un avertissement aux lecteurs adeptes de la lecture rapide : ce titre n’est pas fait pour vous. En effet, l’auteur prend le temps nécessaire pour camper le décor et ses personnages. Un démarrage en douceur pour nous ferrer avant de nous saisir à la gorge et de nous lâcher comme des pantins quand il l’a décidé, c'est-à-dire à la fin de la dernière phrase de la dernière page.
Paul Graves est romancier, romancier à succès, hanté par ses personnages. Il est plus exact de dire que ses personnages le consument, le bouffent et le rongent. Il est invité à passer un week-end au domaine de Riverwood, une vaste propriété victorienne. Il ne comprend ni pourquoi il a été invité ni pourquoi il a accepté l’invitation d’ Allison Davies, la propriétaire des lieux, lui qui déteste quitter New York.
Un meurtre a été commis cinquante ans plus tôt dans l’enceinte du domaine. La victime, Faye Harrison, une ravissante adolescente de seize ans et meilleure amie d’Allison, a été retrouvée morte, étranglée à l’entrée de la grotte du Puits du Diable. Le meurtre n’a jamais été éclairci, le seul suspect arrêté, placé en garde à vue puis relâché, faute de preuves matérielles ayant été découvert mort dans sa chambre une semaine après sa libération. Le rapport d’autopsie a qualifié ce décès « de causes naturelles ». Il s’appelait Jake Mosley et travaillait sur un chantier dans la propriété des Davies. Conclusion du shérif Grady : « Jake Mosley a tué Faye Harrison. Il vient de payer pour sa faute. »
Madame Harrison, la mère de Faye, n’a jamais cru à cette version et n’a par conséquent jamais pu faire le deuil de sa fille. Elle vit désormais dans une maison de retraite, non loin de Riverwood. Comme elle l’écrit à Allison : « je n’ai jamais compris, Allison. Qu’est-il arrivé à Faye ? J’y pense sans arrêt mais ne trouve aucune réponse. Je vois son visage tel qu’il était. Je me répète sans cesse la question : pourquoi elle ? J’ai beau prier, rien. C’est ma punition. Je le sais. Cette torture du mystère de la mort de ma fille. »
La demande d’Allison Davies à l’écrivain est la suivante : écrire une version des faits à laquelle Madame Harrison pourrait croire et qui l’apaiserait. Imaginer ce qui est arrivé à Faye. Deux conditions : il faut que l’assassin soit quelqu’un de Riverwood que Madame Harrison connaissait et pas un inconnu qui rôdait dans les bois et qui aurait disparu, son forfait accompli. Et il faut un mobile auquel la vieille dame pourrait croire. Pas évident car tout le monde aimait Faye. Enfin…il y a quand même bien quelqu’un qui ne l’aimait pas tant que ça ou, je vous vois venir,…qui l’aimait trop.
Je vous ai résumé le roman en trois paragraphes ; en réalité, je ne vous ai rien dévoilé du tout. Le talent de Thomas Cook est de construire une intrigue dans l’intrigue, une trame dans la trame. Le bonhomme est passé maître dans l’art qui consiste à explorer en profondeur toutes les facettes de l’âme humaine, des plus lumineuses aux plus sombres, surtout les plus sombres me direz-vous. Le Bien et le Mal avec leurs mille et une nuances de gris. Parfois sans nuances tels les personnages des romans de Paul Graves, le détective Slovak qui poursuit inlassablement Kessler, le Mal absolu et son bras armé, Sykes.
De vous à moi, je confie que si les romans de Paul Graves existaient réellement, je ne fourrerais mon nez dedans pour tout l’or du monde.
Avant de vous quitter, je réitère ce que j’ai écrit au tout début de cette chronique. Il faut prendre le temps pour savourer pleinement ce roman très noir mais on aime ça, non ? Et si quelqu’un vous dit qu’il y a du Agatha Christie là-dedans, je le transforme aussi sec en Poirot. A la réflexion et même sans réfléchir, il y a effectivement une atmosphère qui n’est pas sans rappeler, par moments, l’ambiance particulière qui habite les romans de la reine du polar anglais à énigmes. La comparaison s’arrête là.
Vous souhaitez en savoir davantage, rendez-vous sur l’excellent blog tenu par Claude Le Nocher : http://action-suspense.over-blog.com/article-thomas-h-cook-les-instruments-de-la-nuit-point-2-109453983.html
Les instruments de la nuit
Instruments of Night, 1998
Thomas H. Cook
Traduction française : Sophie Dalle
Pointdeux Editions (30 août 2012)
Poche: 485 pages