A coups redoublés - Kenneth Cook
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Je connaissais deux écrivains répondant à ce bref patronyme, Robin (Les mois d’avril sont meurtriers, J’étais Dora Suarez, Quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre,…) et Thomas (Les feuilles mortes, Au lieu-dit Noir Étang, Interrogatoire,…). Deux écrivains au talent immense. Le premier est anglais, le second américain. Le premier est mort, le second continue de nous livrer des romans noirs de toute grande qualité. Je viens de découvrir, il y a peu, par un hasard formidable, Kenneth Cook, un auteur australien, décédé en 1987. Il ne nous laisse pas une œuvre très abondante, j’y reviendrai à la fin de cette chronique.
A coups redoublés est la traduction française de ce court roman (140 pages) dont le titre original est Bloodhouse (1974). Mais bon sang, quel roman ! Quelle maîtrise ! J’ai une admiration particulière pour les romanciers qui réussissent en peu de pages à nous emprisonner, nous captiver. C’est bien évidemment le cas ici.
Que s’est-il passé le samedi 17 juin au Calpe, l’hôtel-bar-discothèque où viennent s’amuser les jeunes Australiens ? Par quel enchaînement en est-on arrivé à un tel « tableau d’ignominie, d’effroi et de confusion » décrit par le procureur ? Les frustrations de John Verdon, après une dure semaine de travail aux abattoirs, ont sans doute pesé lourd…Mais il n’est pas le seul à s’être laissé entraîner par ses pulsions vers l’issue fatale.
Les personnages mis en scène par l’auteur sont extraordinaires. Une mise en bouche ? Le patron du complexe, Mick, est décrit comme suit : « …S’il avait eu figure humaine, on aurait pu qualifier son visage de laid, mais une telle description eût été aussi incongrue que d’évoquer la «laideur » des traits d’un primate. Il avait un visage hideux, mais avec une telle constance qu’il semblait avoir été conçu ainsi à dessein, dans un objectif obscur certes, mais sans appel. Ses lèvres épaisses et sa bouche amorphe suivaient, en tremblant comme de la gelée, le rythme des poches qui lui pendaient sous les yeux et autour du menton…… ». Et je ne vous livre pas la description de Jenny, son épouse ni de leur chat.
En plus d’être laid, ce qu’on ne peut décemment pas lui reprocher, Nick est un être foncièrement amoral, cupide dont les seules préoccupations sont son chat, un maximum de pognon et un minimum d’emmerdes au sein de son établissement. Entres autres clients assidus, il y a John Verdon et Harris, deux abatteurs de bovins qui bossent dur toute la semaine. Vous avez là deux prototypes de la bêtise et de la méchanceté réunies. Et le cocktail bête et méchant est particulièrement explosif.
Kenneth Cook nous dresse un portrait d’une grande noirceur de cette jeunesse australienne qui vient littéralement se défoncer chaque week-end à coups d’alcool fort, de drogues et de sexe dans ces gigantesques complexes hôteliers typiques de l’Australie. Mais il le fait avec tant de finesse, d’intelligence en maniant humour forcément noir et ironie que les scènes dont je dirais, doux euphémisme, que la morale les réprouve passent comme un rosé bien frais. A plusieurs reprise, je me suis surpris à rire tout en m’exclamant : « mais c’est dégueulasse ! ». Hé oui, cela a un nom, le talent, l’art de nous dérider avec des histoires bien noires et bien corsées. Kenneth Cook témoigne de beaucoup de tendresse pour ses personnages que l’on aurait bien du mal à prendre pour modèles et l’autodérision est omniprésente. Le dénouement de cette histoire « scabreuse » est totalement inattendu, impossible à entrevoir. Parmi l’œuvre de Kenneth Cook que je ne fais qu’aborder, il y a entre autres :
Cinq matins de trop (roman)
Par-dessus bord (roman)
Le vin de la colère divine (roman)
Le trésor de la baie des orques (roman)
La bête (roman)
Le koala tueur et autres histoires du bush (recueil de nouvelles)
La vengeance du wombat et autres histoires du bush (recueil de nouvelles)
L’ivresse du kangourou et autres histoires du bush (recueil de nouvelles)
A coups redoublés
Kenneth Cook
Bloodhouse
Traduit de l’anglais (australien) par Mireille Vignol
140 pages
Éditions Autrement (11 janvier 2008)
Également disponible en poche