L'étrange affaire du cadavre souriant - Miguel Miranda
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Les excellentes éditions de l’Aube, noire en l’occurrence, m’ont permis de découvrir un nouvel auteur. Il est portugais et son personnage de détective privé s’appelle Mario França. Ce cadavre souriant est le troisième opus de notre privé après Quand les vautours approchent (Aube noire poche, 2013) et Donnez leur, Seigneur, le repos éternel (Aube noire poche, 2014).
Je vous le dis tout de go, c’est excellent mais je sais que vous ne vous satisferez pas de ce seul adjectif, lecteurs de peu de foi. Ces trois premières enquêtes se déroulent à Porto, ville natale de l’auteur. Le bureau de Mario França consiste en une pièce qu’il loue pour des clopinettes à une vieille grincheuse, la mère Arminda. L’immeuble est à la limite de l’insalubrité mais offre une vue imprenable sur le fleuve Douro. C’est là qu’il réfléchit, reçoit sa clientèle et ferme les yeux sur les Africains clandestins que sa propriétaire héberge dans les combles de l’immeuble.
Son appartement ne donne pas plus envie, un une pièce à la fois salle de séjour, chambre et cuisine. Mario n’avait pas compris tout de suite que son immeuble était en réalité une sorte de centrale de massage, les minuscules appartements au-dessus et au-dessous du sien laissant échapper les gémissements des filles et de leurs clients tout au long de la nuit. Le seul avantage, outre le prix, étant qu’il peu écouter ses vinyles plein pot. Vous l’aurez compris, il ne roule pas sur l’or, notre Mario mais dans une vieille Ford Escort dont les ressorts des sièges lui garantissent de rester éveillé lors des longues planques que son dur métier lui impose.
Mario França est un ancien révolutionnaire. Il a participé très activement à ce que l’on a appelé la révolution des Œillets qui, le 25 avril 1974, fit tomber la dictature instaurée par Salazar 48 ans plus tôt. Il en a gardé des souvenirs, des amis qu’il ne voit plus et une immense nostalgie. Un homme de terrain, notre Mario. Et je ne vous dis pas le nombre de cordes qu’il a à son arc.
Dans ce troisième opus, il est chargé d’enquêter sur un suicide survenu dans une famille anglaise productrice et négociante de vins de Porto. Étrange cadavre que celui de Gladys Cleminson, tout sourire et dont le petit calibre reposant à ses côtés ne porte aucune empreinte digitale. On comprend mieux la démarche de son neveu Arthur Cleminson qui déclare à Mario França : « nonsense, she was a very strong woman ». En se rendant à la morgue pour connaître les conclusions du médecin légiste, Mario tombe sur un second cadavre qui le ramène bien des années en arrière. Quatre trous dans la poitrine. Il s’agit de Lopes Trotil, plus connu comme « le Vieux » dans la clandestinité. Il doit beaucoup à cet homme et le moins qu’il puisse faire est de le venger. D’autant qu’il a l’intime conviction que les deux affaires, bien que sans lien apparent ni dissimulé l’une avec l’autre, sont liées.
L’auteur a choisi de nous raconter tout cela avec un humour teinté d’ironie. Son personnage de privé est une réussite magistrale. Les personnages, tous sans exception, ont une vraie consistance. Et c’est là un des points forts de l’auteur que de parvenir, en quelques traits, à brosser des portraits et des personnalités qui se gravent instantanément dans notre mémoire. Au milieu de ce récit fourmillant, léger et trépidant se glissent et résonnent ça et là quelques notes plus graves qui nous plongent dans la période trouble de la dictature.
Un petit extrait vaut mieux qu’un long discours et c’est en toute subjectivité que je l’ai choisi :
« …C’est un autre de mes talents cachés : je connais toutes les races de chien et leurs caractéristiques. Un simple coup d’œil sur un animal me suffit à deviner son tempérament et sans même le voir, la nuit par exemple, je peux savoir aisément à qui j’ai affaire, car j’ai mémorisé la gamme des timbres et des tonalités de presque toute la gent canine. Le berger des Pyrénées aboie comme un Saint-Bernard, mais d’une manière un peu plus veloutée… »
En voici un second qui illustre la qualité de la plume de Miguel Miranda en même temps que ses préoccupations. Cet extrait se rapporte aux femmes qui officient dans les appartements contigus de celui de Mario :
« …Je n’ai jamais croisé mes voisines gémissantes, que ce soit dans l’ascenseur ou dans notre vieil escalier humide où la lumière ne vient jamais perturber la croissance des moisissures. Dans le couloir puis sur le palier, dans l’odeur épaisse d’urine et de renfermé, je me guidais à tâtons vers le ver luisant de la minuterie qui ne fonctionne jamais tout en imaginant des geishas au visage de cire maquillées avec des couches successives de cosmétiques bas de gamme pour couvrir les rides que les années, l’alcool, les drogues, les mauvais traitements et les maladies avaient creusées sur leurs traits fatigués... »
Sur l’auteur, je n’ai que peu d’informations. Il exerce comme médecin généraliste le jour et écrivain la nuit. Il s’est vu décerner en 1997 le prix Caminho consacré à la littérature policière.
Promis, je reviendrai vous parler des enquêtes passées de Mario França. Et de celles à venir, bien entendu.
L’étrange affaire du cadavre souriant
Miguel Miranda
Titre original : O estranho caso do cadaver sorridente
Traduit du portugais par Vincent Gorse
Éditions de l’aube, 2015
263 pages