Sacré temps de chien - James Holin
Ah, la baie de Somme ! Que de souvenirs et que des bons. Le Hourdel, Le Crotois, Saint-Valery-sur-Somme, Villersville, Ault, …Fabuleux paysages de la côte picarde, le parc du Marquenterre, superbe réserve ornithologique et j’en passe. Mais je ne suis pas là pour vous vanter les splendeurs de la région bien que, si vous n’y avez jamais séjourné, c’est regrettable mais réparable. Non, si je vous parle de la baie de Somme et des alentours, c’est parce que James Holin a choisi d’y implanter le décor de son premier polar. Un polar régional puisque paru chez Ravet-Anceau dans la collection polars en nord.
Deux cadavres sont repêchés par un chalutier à deux milles des côtes picardes. Le meurtre ne fait aucun doute, leurs pieds étant fermement attachés à un morceau de poutre en métal. L’identification révèle qu’il s’agissait de deux plongeurs expérimentés, Marie et Bruno, militants d’une association écologique Mare Nostrum.
Mireille Pancoucke est journaliste au canard du coin, le Courrier Picard dont le directeur n’est autre que son premier mari, Jérôme Coucy. De leur union est née Julie, étudiante à la Fac de droit d’Amiens. Un sacré bout de femme que cette Mireille. Elle a parcouru le monde et ses zones de turbulence et de conflits armés pour Paris-Match avant d’être frappée à l’aube de la cinquantaine d’une maladie nécessitant un traitement lourd et un ralentissement de ses activités. Revenue s’installer à Saint-Valery-sur-Somme, elle a remis le pied à l’étrier en travaillant pour le journal local. Son ex-mari, Jérôme Coucy, ne lui a pas tenu rancune de l’avoir planté sans préavis pour assouvir ses ambitions professionnelles. Désormais, elle partage sa vie avec Alexandre Hauterives, un critique de cinéma fantasque, infatué et égocentrique. Il n’est pas souvent là, courant de festival en festival et cet état de choses lui convient parfaitement.
Quand la voiture de l’administrateur principal des affaires maritimes Yvon Le Cam est retrouvée disloquée au bas des falaises d’Ault, avec son propriétaire à l’intérieur, Mireille Pancoucke retrouve ses réflexes de journaliste de terrain et d’investigation. Elle est pourtant supposée couvrir la campagne électorale du candidat du centre aux élections législatives, un certain Joseph Mirlitouze opposé à Victor Leleu, le plus gros armateur du coin pour ne pas dire le seul et magnat de l’industrie locale, un mec fort en gueule et peu scrupuleux.
Si vous avez bien suivi, cela nous fait déjà trois cadavres. Et ce n’est pas le retour dans la région d’Albert Emery, libéré après avoir purgé une peine de deux ans à la prison de Fleury-Mérogis pour braquage qui va ramener le calme en Picardie. Il vient en effet récupérer une somme d’argent importante auprès du seul complice qui ne s’était pas fait arrêté.
Beaucoup d’ingrédients dans ce premier roman, une large palette de personnages, des enjeux importants : écologiques (ensablement de la baie), politiques et économiques, il y a de quoi embraser la région. Et j’en pense quoi, moi, de ce Sacré temps de chien ?
Il est impossible de ne pas rentrer de plain pied dans cette intrigue. Les toutes premières pages d’un roman, noir ou pas, doivent harponner le lecteur, elles sont essentielles. Ensuite, il suffit de dérouler la ligne ou le chalut. James Holin atteint ce premier objectif sans peine aucune. Il ne joue pas la carte du thriller ou du suspense à tout crin. Les salauds, crapules et meurtriers se dévoilent au fur et à mesure de l’intrigue et leur identification ne nuit en rien à la tonicité du récit. Car si le lecteur identifie assez rapidement qui appartient à quel bord, les protagonistes, eux, n’en savent rien ou le découvriront quand l’auteur en aura décidé.
Dans cette Picardie hivernale où la vie est dure et les boulots rares, on ne s’étonne pas que la corruption gangrène les pouvoirs locaux et régionaux. On ne s’étonne pas davantage de constater qu’un industriel, Victor Leleu, ait la main mise sur la pêche ; les chalutiers sont sa propriété, c’est lui qui embauche les marins pour monter à leur bord, c’est aussi lui qui les vire aussi sec sans explication. Il a aussi compris que les heures glorieuses de la pêche étaient révolues et a créé une conserverie de poissons qui grâce à son habileté et son opiniâtreté est devenue la société Leleu & fils, un partenaire international quasi incontournable dans le secteur du plat cuisiné à base de produits de la mer. Pour le reste, Leleu est un mec imbuvable qui n’éprouve que mépris pour autrui ; carrure de morse, teint rubicond, obèse, un tout bon candidat pour un AVC et un non moins bon candidat aux élections qui se profilent.
Dans cette atmosphère délétère et nauséabonde, Mireille, ex-journaliste vedette de Paris-Match et Albert fraîchement libéré vont donner sans trop savoir un fameux coup dans la fourmilière. Mais je ne vais pas vous raconter le bouquin.
Un autre atout de ce Sacré temps de chien est l’humour incarné par Alexandre Hauterives, personnage incongru dans ce décor. Ne manquez pas cette veille de partie de chasse donnée au château d’Orival, non loin d’Abbeville par Pierre de Corbie, son propriétaire. Un concentré de mondanités hypocrites d’une drôlerie irrésistible, un moment fort du bouquin. Il y a aussi bien sûr, Joseph Mirlitouze, candidat du centre aux élections législatives. Son patronyme seul fait rire mais en plus, le bougre, il en prend plein la gueule pour notre plus grand plaisir.
De l’auteur, je ne possède que les informations que vous pourriez vous-même glaner sur la toile. S’il s’agit bien de son premier polar, il aurait également écrit des romans et nouvelles.
En conclusion, un polar réjouissant et captivant qui a, selon moi, davantage vocation de distraire même si l’auteur fustige au passage les turpitudes d’une société bien malade et focalise l’espace d’un moment notre attention sur une région sinistrée économiquement mais à la nature (encore) incroyablement belle.
Sacré temps de chien
James Holin
Éditions Ravet-Anceau (6 juillet 2015)
Collection Polars en Nord