Violence d'État - André Blanc

Publié le par Jean Dewilde

Violence d'État - André Blanc

Après Farel et Tortuga’s Bank, voici Violence d’État, troisième volet d’une trilogie qui pourrait bien connaître une suite, auquel cas, nous aurions droit à une tétralogie ou plus. Je vous rassure immédiatement, je n’ai pas lu les deux premiers nommés et j’ai été scotché dès la première ligne de Violence d’État. L’idéal étant toujours de commencer par le commencement, je vous le concède volontiers.

Le commandant de police Guillaume Farel est une légende vivante au sein de l’institution. Réputé indestructible, il a pourtant bien failli faire mentir cette réputation en réchappant de justesse à un attentat à Berlin. Un projectile tiré à plus de 400 mètres par un sniper l’a traversé, sans toucher d’organes vitaux à part deux côtes et une omoplate. Tout le monde sait cependant que si le tireur avait choisi un calibre supérieur, Farel ne serait plus là pour diriger ses hommes. Moins de chance pour le lieutenant Maud Gonne. Amnésique, syndrome post-traumatique, migraines à se taper la tête contre les murs, crises d’angoisse, le chemin vers une amélioration est lent et long. Et puis, Alain Moyat, l’informaticien de l’équipe, mort.

André Blanc, dans un entretien sur Lyon Première, affirme s’être inspiré de faits réels. Faut-il en douter ? Non, bien évidemment à moins de faire preuve d’une grande naïveté ou de préférer penser que les choses ne se passent pas ainsi. Le commandant Farel n’est pas un preux chevalier blanc venu combattre par idéal un monde fait de politiciens véreux, de sociétés écrans, d’énarques obsédés par leur image, d’argent sale et de blanchiment d’argent. L’origine de l’intrigue, c’est cet accident spectaculaire sur le périphérique lyonnais. Un fourgon funéraire transportant un chargement de drogue important, des armes en grand nombre dans le cercueil en lieu et place d’un cadavre et quatre corps calcinés, réduits à l’état de carbone noir. C’est ce que j’appelle du concret, du solide, du lourd et qui justifie pleinement l’intervention de la police judiciaire.

Farel forme avec la juge Fournier un duo redoutable et redouté. Surtout ne jamais tomber dans les serres du « Tandem F2 Fournier-Farel », telle est la rumeur qui enfle depuis des années dans les méandres du palais et du réseau des affaires. Ce binôme sans faille, ignorant des intimidations et menaces, fonctionne à merveille. L’équipe de Farel est aussi un exemple d’efficacité, il y a Comont, l’intello, le seul homme capable de négocier avec des indices pour leur faire avouer ce qui s’était passé. Dumont, massif, « le rocher », Havery, dit Tex, un sens inné de la scène de crime, une mémoire sans faille, Hassaoui, Rezak de son prénom, l’homme sans émotion et enfin Liergal dit Jimmy, l’informaticien surdoué (vous aurez remarqué le clin d’œil au boss). Et le bras droit de Farel, le capitaine Lucchini.

André Blanc, qui a été adjoint au maire de Lyon à la fin des années 80 avant de démissionner pour totale inadéquation, connaît et maîtrise son sujet. Sans manichéisme ni démagogie, il nous plonge dans un monde où l’argent est le nerf de la guerre et précisément, pour faire la guerre, il faut beaucoup d’argent, peu importe sa provenance. Et pas seulement pour faire la guerre. Prenez un gisement de minerai en Afrique. Pour permettre son extraction en toute sécurité, il faut des mercenaires, des barbouzes, appelez-les comme bon vous semble. Ça coûte un pont, ces gens-là. Le trafic de drogue, la prostitution, le blanchiment d’argent, le trafic d’armes sont autant de sources de financement illicites et intarissables. C’est facile à comprendre, plus difficile à accepter.

Avez-vous déjà entendu parler des SMP ? Ce sigle désigne une société militaire privée fournissant des services dans le domaine de la sécurité et de la défense à des gouvernements, organisations internationales, ONG ou entreprises privées. La désignation officielle française depuis 2012 est « entreprise de services de sécurité et de défense ». (source : Wikipédia). Si je vous en touche un mot, ce n’est pas pour parader. André Blanc développe ce point particulier dans son roman, c’est tout bonnement édifiant…et captivant !

Le commandant Farrel est un homme de terrain et de réflexion. Il est aussi un fin stratège qui sait comment et quand avancer ses pions. Loin d’être un super héros, il a aussi en lui une fragilité qui le rend par moments inaccessible. Son talon d’Achille, c’est Maud, cette femme dont il est fou amoureux et qui revient petit à petit à la vie.

Avec Violence d’État, André Blanc nous livre un polar dense, sombre, tendu à l’extrême. Une immersion sidérante dans le monde de la manipulation à grande échelle. Le sentiment conforté, dérangeant et écœurant que nous ne connaissons jamais que ce que l’on veut bien que nous dire et un doute, voire une inquiétude légitime quant à la compétence d’hommes et de femmes à pouvoir à maîtriser des enjeux qui les dépassent complètement. L’important étant en définitive toujours le même : s’en foutre plein les poches tant qu’on occupe un poste, une fonction qui le permet. André Blanc n’est certainement pas partisan du tout à l’égout. Des commandants Farel, des juges Fournier, il en existe. Mais il est clair qu’André Blanc ne témoigne pas d’une grande tendresse vis-à-vis de la classe politique.

Une lecture nécessaire, qui en appelle à notre réflexion et notre bon sens. Une écriture trempée dans l’urgence, précise, directe. Une écriture qui va droit au but et touche sa cible en plein cœur. Un polar stressant mais quel bonheur !

Je vous laisse avec cette citation de Frédéric Bastiat que j’apprécie particulièrement. "L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde."

Violence d’État

André Blanc

Éditions Jigal (septembre 2015)

264 pages

Publié dans Le noir français

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Commenter cet article
L
j'avais lu Tortuga's bank que j'avais bien aimé pour ce que je m'en rappelle. Pas encore lu celui. Par contre chez Jigal je viens de lire "La filère afghane" de Pouchairet, j'ai beaucoup aimé ! une mine cette petite maison d'édition.
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V
Mon ami Jean,<br /> Contrairement à toi, j'ai lu les deux premiers, et pas celui-là. Mais le personnage du commandant Farel m'est si sympathique que je ne devrais pas tarder à le rejoindre pour une prochaine lecture...<br /> Quand? That is the question... <br /> A bientôt, mon pote. La bise...
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J
J'aurais bien fait de procéder comme toi, c'est-à-dire de façon logique et chronologique. Ceci dit et cela prouve que ce troisième volet est excellent, il m'a donné envie de lire les deux premiers. Amitiés.
B
Salut Jean, <br /> C'est pourtant un thème plus que rebattu, il faut donc vraiment sortir du lot pour à nouveau faire prendre la mayonnaise... Amitiés.
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J
Salut l'ami Bob,<br /> Selon moi, il sort effectivement du lot mais tu as déjà entendu parler de subjectivité, non ?<br /> Amitiés.