Les chiens de Belfast - Sam Millar
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Ne me demandez pas pourquoi mais j’ai un faible pour les auteurs de polars/romans noirs irlandais. Et Sam Millar n’échappe pas à cet élan de tendresse. Avec son stupéfiant et bouleversant On the Brinks paru en 2012 chez Seuil, il nous livrait une autobiographie absolument hallucinante. Quand on a lu ce livre, on ne peut l’oublier. Ouvrage très logiquement récompensé par le prix du Balai d’Or 2013. Auparavant, Il avait publié en 2010 chez Fayard Noir le sensationnel Redemption Factory (http://jackisbackagain.over-blog.com/article-redemption-factory-sam-millar-111244181.html) , sorti chez Points sous le titre Rouge abattoir. En 2013, les éditions Points publient Poussière tu seras, qui ne m’a pas convaincu outre mesure. Avec Les chiens de Belfast disponible chez Points, il inaugure un cycle mettant en scène le privé Karl Kane. Le deuxième opus de la série est paru chez Seuil sous le titre Le cannibale de Crumlin Road.
Les chiens de Belfast m’ont enthousiasmé. L’intrigue est résolument noire, très noire. 1978, Belfast, une femme est violée puis tuée par des inconnus, son cadavre laissé en pâture aux chiens errant. Nul n’a payé pour ce crime. Mais vingt ans plus tard, une mystérieuse blonde, après avoir fait joujou avec, sème les cadavres un peu partout en ville. Un homme répondant au nom de Bill Munday vient solliciter le détective privé, Karl Kane.
Ce n’est pas d’une franche originalité, me direz-vous. Certes, sauf que le viol, à défaut d’être original, reste le crime le plus abject et lâche qui soit et que la vengeance est l’un des mobiles les plus puissants. Et puis, vous verrez, Karl Kane, en charge d’une enquête (à la demande d’un client mystérieux, presque inquiétant), c’est un peu comme conduire votre voiture à l’entretien annuel chez un démolisseur. « Mince comme un fil mais d’une taille respectable », Karl Kane est comme tous les privés, fauché. Factures impayées, poursuivi pour non-paiement de pension alimentaire à son ex-femme Lynne, Karl s’octroie le luxe d’employer une secrétaire, la charmante Naomi, main de fer dans un gant de velours. D’accord, elle est bien plus que sa secrétaire…Pour aggraver son cas, Karl Kane écrit des manuscrits que toutes les maisons du Royaume-Uni s’empressent de refuser. Sur son bureau, trois photos encadrées de sa fille Katie et une plaque gravée sur son bureau : « Vous n’avez cessé d’essayer ? Vous n’avez cessé d’échouer ? Aucune importance. Essayez encore, échouez encore, échouez mieux » (Samuel Beckett).
Lynne, l’ex-femme de Karl, est la sœur de l’inspecteur de police Mark Wilson. Ce dernier est entouré de Peter Cairns, le plus jeune de l’équipe, d’Edward Philips, un vieux bourrin proche de la retraite et son bras droit s’appelle Duncan « Bulldog » McKenzie. Entre ces quatre-là et Karl Kane, les relations sont tendues. Et quand Mark Wilson demande à Kane de venir identifier le cadavre de Chris Brown à la morgue, Kane va ressentir un sentiment de haine pure à l’égard de son ex-beau-frère et de ses hommes. Qui pouvait haïr à ce point Chris Brown, paraplégique ? Il n’était pas son ami, c’était un tueur mais qui pouvait l’avoir flingué à ce point ? Cette exécution va mettre Kane dans une rage folle, il va tout faire et encore plus pour découvrir et confondre les meurtriers de Chris Brown. Mais bien entendu et c’est un aphorisme, les choses ne se passent jamais comme on le pense.
Avec Les chiens de Belfast, Sam Millar nous livre un polar glacial. Il y dénonce la cruauté imbécile de la race humaine, cette brutalité aveugle et démesurée qui transforme l’homme en un prédateur impitoyable. Au contraire des animaux, l’homme tue par méchanceté, par jalousie, par impuissance,…Mais Sam Millar refuse de sombrer dans l’inhumanité. Avec Karl Kane, il crée un privé attachant, sensible, tantôt franchement cynique, tantôt doucement ironique et tellement vivant et humain que chacun s’en construira sa propre image visuelle. Doté d’une bonne dose d’humour…irlandais, il n’est ni courageux ni téméraire, encore moins sûr de lui. Mais précisément, ce sont ses failles, ses faiblesses, sa détermination qui vont lui donner l’énergie d’aller jusqu’au bout de l’horreur et de lui-même. Il forme avec Naomi, sa secrétaire et compagne un couple atypique et réjouissant.
Il y a, je pense, beaucoup de l’auteur dans ce polar comme dans tous ses romans d’ailleurs. Si vous voulez mieux cerner et comprendre la prose de Sam Millar, je ne peux que vous recommander son roman autobiographique On the Brinks. On ne sort pas indemne des geôles de Long Kesh et il est tout à fait admirable que Sam Millar ait trouvé par le biais de l’écriture un moyen de fustiger tout ce qui lui paraît détestable et haïssable chez nos contemporains.
Je termine par une citation que l’on retrouve en exergue du chapitre 9 : « Évitons d’imaginer le mal, quand nous savons qu’il y a tant de raisons de le rencontrer vraiment. » Oliver Goldsmith – L’homme au bon naturel
Ne manquez pas la chronique avisée de Passion polar, alias la petite souris :
http://www.passion-polar.com/les-chiens-de-belfast/
Les chiens de Belfast
Titre original : Blood Storm
Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal
Points Policier 2015