Les voleurs de sexe - Janis Otsiemi
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Non, il ne s’agit pas d’un trafic international juteux d’organes génitaux et pas davantage d’un réseau complexe de proxénètes de tous poils. Sous ce titre énigmatique se cache le dernier polar de Janis Otsiemi, écrivain gabonais. Alors, qui sont-ils ces voleurs de sexe ? Il n’y a bien sûr que dans des sociétés où les croyances populaires sont profondément ancrées et où les superstitions les plus folles pèsent bien plus dans la balance que le rationnel qu’une intrigue comme celle-ci peut naître et se développer.
« Dans la rue, tout le monde marche les mains dans les poches en évitant soigneusement d’approcher des inconnus… Il semblerait en effet que d’une simple poignée de main, de louches individus détroussent les passants de leurs «bijoux de famille» ! »
Dans ce climat de psychose et de paranoïa, trois adolescents, Tata, Benito et Balard assistent au crash d’une Mercedes une nuit dans un quartier de Libreville. Le conducteur est tué sur le coup. Dans les décombres encore fumantes du véhicule, ils aperçoivent une mallette bourrée de billets CFA. Mais ce n’est pas tout…Il y a également des enveloppes contenant des clichés du Président de la République et pas n’importe lesquelles… Si vous pensez à ce que je pense, hé bien, vous vous fourvoyez. Monnayer ces photos contre un sacré paquet de fric, voilà l’idée qui germe quasi spontanément dans l’esprit des trois jeunes gens.
Ailleurs, d’autres jeunes, Kader, Poupon et Pepito décident de braquer Li Chang, un homme d’affaires chinois qui vient de retirer à la banque une grosse somme cash pour la paie mensuelle de son personnel. Le braquage tourne au carnage. Kader et Poupon restent allongés sur le bitume tandis que Pepito abat le Chinois avant de prendre la fuite avec les trente millions de CFA contenus dans la mallette.
Janis Otsiemi dresse un portrait sans concession de son pays. Un scanner au scalpel. Tout y passe : croyances, superstitions, corruption littéralement à tous les étages, prostitution, une atmosphère délétère à tous niveaux de pouvoir. C’est tout bonnement édifiant. Vous me direz, à juste titre sans doute, que ce que décrit Janis Otsiemi n’est pas spécifique au Gabon et que nombre de pays africains souffrent des mêmes maux. Mais précisément l’auteur est un enfant du pays et cela lui confère le droit de porter ce regard à la fois tendre et acéré, notamment sur l’économie « Comme partout en Afrique, la Chine était devenue le premier partenaire du Gabon après la France, l’ancienne puissance colonisatrice. Une certaine françafrique version chinoise s’était mise en place. », et la politique « …s’est tenue une cérémonie secrète dans la salle du palais des congrès de la Cité de la Démocratie. C’est au cours de cette réunion que Papa Roméo s’est fait introniser à la fois grand maître de la Loge nationale du Gabon et du Grand Rite équatorial. » On croit rêver, non ? Et pourtant…
Ce qui est formidable quand on lit ces voleurs de sexe, c’est la légèreté qui s’en dégage. C’est pourtant bien noir. Est-ce un art de vivre, une sorte de résignation, un certain fatalisme ou désenchantement ? Le sentiment que le temps passe et que jamais rien ne change ? Comme le dit l’auteur dans un entretien accordé à Afrolivresque, « Le Gabon est un pays malade de ses élites. Car depuis plus une trentaine d’années, la classe politique ne s’est pas renouvelée. Ceux qui s’opposent aujourd’hui au président Ali Bongo élu président de la République en 2009 sont pour la plupart issu du Parti Démocratique Gabonais (PDG) créé en 1968 par le défunt président Omar Bongo. Et j’ai bien peur que la prochaine élection présidentielle prévue en 2016 ne soit qu’un remake de celle qui s’est déroulée en aout 2009 car elle n’a pas permis de solder l’héritage d’Omar Bongo. »
Ce qui est aussi exceptionnel chez cet auteur, c’est cette verve, cette langue à la fois poétique, argotique qui touche en plein cœur. Une langue imagée à la capacité d’évocation exceptionnelle. Des expressions comme « Y a pas à monter et à descendre », « Ce n’est pas une journée pour mourir avec des cheveux noirs » et tant d’autres donnent au récit une saveur incomparable.
Les habitués retrouveront des personnages déjà présents dans les précédents polars de l’auteur : les policiers Koumba et Owoula, les gendarmes Boukinda et Envame. Au Gabon, un solide antagonisme existe entre policiers et gendarmes, les premiers étant les parents pauvres et devant composer avec des locaux vétustes et du matériel obsolète, les seconds choyés par le pouvoir car supposés défendre le territoire national, entendez assurer la protection du président.
Pour conclure cette chronique, je cite volontiers Cheikh Hamidou Kane, grand écrivain sénégalais, auteur de L’aventure ambiguë (1961), livre majeur de la littérature africaine : « …Nos États africains sont aujourd’hui des semblants d’États, avec des semblants de Parlement, des semblants d’armée…Ce n’est plus la faute de la colonisation, c’est la nôtre. Nous avons remplacé le pouvoir par l’illusion du pouvoir : difficile de voir la différence quand on vit dans un palais de marbre et de dorures ! »
Ses quatre précédents polars ont tous été publiés aux Éditions Jigal – dont je ne dirai jamais assez de bien – dans la chronologie suivante :
La vie est un sale boulot – 2009 ; La bouche qui mange ne parle pas – 2010 ; Le chasseur de lucioles (2012) ; African Tabloïd (2013).
Les voleurs de sexe
Janis Otsiemi
Éditions Jigal 2015