La bonne, la brute et la truande - Samuel Sutra
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(Tonton, ses hommes, l’effet salaire)
Ah les amis, quel bonheur mais quel bonheur ! Ce Tonton, j’en reportais la lecture, non par manque d’envie mais par trop d’envie. Il faut parfois savoir brider son enthousiasme, juguler son empressement, mettre sa fougue en berne, renoncer au plaisir immédiat. La récompense n’en est que plus belle, croyez-moi.
Mauvaise nouvelle, Tonton ne va pas bien. En cause, un caillou, certes pas n’importe quel caillou mais un caillou tout de même. Imaginez un mec qui téléphone à Tonton, le parangon suprême en matière de casses, pour lui proposer l’acquisition au quart de sa valeur du célébrissime Waïen-Bicôze. Étonnement, hébétude, stupéfaction et stupeur sans tremblement, Tonton ne comprend pas pour la simple et très bonne raison que le Waïen-Bicôze, c’est lui qui l’a fauché et enterré dans le parc de sa propriété. Oui mais voilà, non mais voici : il eût sans doute fallu faire preuve d’un peu plus de bon sens douze mois plus tôt en enfouissant le diamant avant d’arroser le plein succès de l’opération plutôt qu’après. Car si tout le monde se souvient du mode de calcul théorique visant à localiser l’objet de toutes les convoitises, à dix pas de la dernière marche, aucun ne se rappelle la longueur des pas et la profondeur de l’ensevelissement. Comme le suggère astucieusement Mamour : « On n’était pas frais, ce soir-là. Tonton, là, t’as compté dix pas à jeun. Faudrait peut-être compter dix pas bourrés, non ? ». Mais même en déterminant la surface que peuvent couvrir dix pas parcourus par des individus cuités à des grammages différents, le Waïen-Bicôze demeure introuvable.
Pour les néophytes, profanes et autres non encore initiés, l’équipe de Tonton se compose de Gérard, l’exécutant zélé, qui comprend tout dans l’instant mais entièrement de travers ; Bruno, lui, met des plombes à saisir ce qu’on lui veut mais quand il a saisi, il a saisi tout dans son intégralité ; Mamour, l’aveugle de service, capable d’écouter l’absence totale de bruit et d’en interpréter les nuances ; Kiki, son teckel chien-guide ; enfin, Pierre, le neveu de Gérard qui pour être franc n’a rien à foutre dans cette joyeuse bande de bras cassés. J’allais oublier la baronne, Donatienne, la gouvernante et domestique de Tonton dont l’abstinence, les bons jours, se cantonne à une poignée de minutes.
Tonton, l’illustre truand aurait-il commis une erreur ? Voler le Waïen-Bicôze chez Drouot constitue certes un coup d’éclat mais ne pas payer ses hommes arguant que l’illustre diamant ne peut décemment et raisonnablement être proposé à la vente dans l’immédiat jette un froid. Ses hommes ont des besoins, primaires et faciles à assouvir mais ils ont des besoins. La révolte gronde, la rébellion couve, le Potemkine n’est pas loin. Tonton assène sa dernière carte en évoquant la personnalité du propriétaire lésé du Waïen-Becôze, le dénommé Vladlezbrouf, un Russe : « …On aura beau lui promettre de le lui rendre, de lui aligner une rallonge pour le dédommager et de lui envoyer Donatienne dans le plumard pour qu’elle lui joue Les portes de Kiev au trombone à coulisses, on a aussi vite fait d’aller s’enterrer nous-mêmes dans mon parc dès ce soir. On gagnera du temps. » Voilà, pense Tonton qui douche définitivement les velléités geignardes de ses larbins. Et pourtant…S’il existe des ballerines pointure 54, offrons-les à Gérard car c’est lui qui va ouvrir le bal des conneries. Les autres vont suivre, n’allez pas croire. Une espèce de solidarité imbécile semble les relier l’un à l’autre de manière invisible. Que l’un d’entre eux soit dans la merde et tous les autres y plongent gaiement en en rajoutant une couche, c’est inéluctable, stupéfiant et surtout très drôle. Et le taulier là-dedans ? Tonton a déjà pas mal de boulot avec Donatienne qui n’a même plus besoin du moindre petit prétexte pour s’envoyer une bouteille de Suze dans le jabot. Et les moments où elle n’est pas déchirée comme un drapeau en pleine tempête se comptent sur les orteils de son maître qu’elle ne pédicure plus depuis les premières pages de Le Bazar et la Nécessité (Tonton sème le doute).
Sans vouloir vous forcer la main, moi je vous dis que mourir sans avoir lu Tonton, c’est con. Tonton vous dirait peut-être que vous risqueriez de vous en vouloir toute votre mort. Mais ça, c’est une autre histoire.
Merci Samuel, tu es grand ! Merci Nathalie, tu es grande aussi !
La bonne, la brute et la truande
Samuel Sutra
Éditions Flamant Noir