L'enfer de Church Street - Jake Hinkson
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Ah les amis, j’ai pris un pied pas possible à la lecture de ce polar noir comme l’encre. J’ai fait la connaissance de Jake Hinkson via son deuxième roman, L’homme posthume, lequel m’a laissé à quai. Il m’a donc fallu un peu de temps pour que je revienne à lui et à son premier roman, cet Enfer de Church Street qui m’a emballé. La quatrième de couverture, et c’est assez rarement le cas, nous dit juste ce qu’il faut savoir avant de commencer le livre, aussi je n’ai aucun scrupule à vous la livrer telle quelle :
Geoffrey Webb est en train de se faire braquer sur un parking. Et cette situation lui convient bien, il en redemanderait même. À son agresseur, il propose un marché : empocher les trois mille dollars qui se trouvent dans son portefeuille, le dépouiller de tout s’il le faut, en échange de cinq heures de voiture jusqu’à Little Rock, en Arkansas. Webb a besoin de se confesser. Ce braquage et ce pistolet pointé sur lui, il les mérite. Et il est prêt à expliquer pourquoi.
Admettez-le, comme accroche c’est réussi. Et si je ne vais pas vous narrer la confession du sieur Webb, j’aime à vous dire qu’au commencement, il était aumônier à l’Église Baptiste pour une Vie Meilleure (ça ne s’invente pas) dans la petite ville de Little Rock en Arkansas. Geoffrey Webb n’a bien évidemment pas embrassé la religion par vocation ou parce qu’il a été foudroyé par la grâce. Comme lui-même le dit : « La religion est le boulot le plus génial jamais inventé, parce que personne ne perd jamais d’argent en prétendant parler à l’homme invisible installé là-haut. Les gens croient déjà en lui. Ils acceptent déjà le fait qu’ils doivent de l’argent, et ils pensent même qu’ils brûleront en enfer s’ils ne le paient pas. Celui qui n’arrive pas à faire de l’argent dans le business de la religion n’a vraiment rien compris. »
Pour être encore plus à l’aise dans son rôle, Webb a suivi un cursus de deux ans en communication. Et il a découvert entre autres choses que « la plupart des gens veulent seulement que vous leur disiez ce qu’ils ont envie d’entendre… » A côté de cette première vérité fondamentale, il se fait fort d’en appliquer une autre, « …On ne fait vraiment confiance qu’à ceux qui ont les mêmes préjugés que soi ».
Fourbe, duplice, manipulateur, d’une écœurante obséquiosité, Frère Webb – j’ai presque le sentiment de blasphémer en l’appelant ainsi – va rapidement avoir la main mise et l’emprise sur le groupe de jeunes dont il a la charge. Mais cette facilité à conquérir les âmes et les cœurs va provoquer sa perte ; il n’est pas insensible au charme d’Angela, laquelle, de son propre aveu, en est singulièrement dépourvu. Une partie du problème est que l’objet de son désir est la fille de Frère et de Sœur Card, la seconde est qu’elle est mineure. Angela est bien amoureuse d’un garçon de son âge, un grand basketteur imbécile pas forcément boutonneux mais vous imaginez bien que frère Webb se débarrassera de cet obstacle en deux Ave trois Pater.
L’auteur construit son roman autour de cette bascule, ce moment charnière où le destin de Frère Webb va complètement lui échapper. A force de vouloir reprendre le contrôle de son existence, il ne fait que s’enfoncer un peu plus à l’instar d’un homme se débattant dans des sables mouvants. Il est intéressant et intensément jubilatoire d’observer la descente aux enfers de cet homme, passé maître dans l’art de scanner et d’ausculter ses semblables.
Tant bien que mal, il s’efforce de justifier ses actes à nous lecteurs, ahuris, sidérés mais conquis par tant de mauvaise foi. Et si nous faisions confiance à notre aumônier, ne fut-ce qu’une fois, hein ? S’il profitait de cette confession itinérante et totalement fortuite pour se racheter sincèrement et durablement aux yeux du mec là-haut ?
Au début de sa confession, il a cette réflexion qui est sans aucun doute l’une des plus sincères et des plus justes qu’il nous adresse : « Il est difficile de savoir aujourd’hui si j’aurais été plus mauvais encore sans l’église, puisqu’elle a joué un rôle essentiel dans la décomposition de ma vie. » Comment pourrions-nous le rejeter après cet aveu magnifique ?
Pour apprécier et appréhender ce texte traversé de part en part par une férocité corrosive et un humour grinçant et décapant, il est bon de savoir d’où vient l’auteur. En quelques lignes, sachez que Jake Hinkson est né en 1975 en Arkansas, Son père était charpentier et diacre dans une église évangélique, sa mère secrétaire dans une église. Avec ses deux frères, il a grandi dans une famille stricte, baptiste, du Sud des États-Unis, ils allaient à l’office trois fois par semaine. Comme si cela ne suffisait pas, il aggrave son cas durant sa première année de fac en adhérant à l’Église pentecôtiste ultra orthodoxe. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il tourne définitivement le dos à l’église et qu’il reprend des études pour décrocher un master en littérature…pour son salut et notre plus grand bonheur.
Sans traducteurs, nous ne serions rien et je voudrais souligner ici le travail remarquable de Sophie Aslanides qui réussit à insuffler au texte français l’atmosphère délicieusement poisseuse de ce Hell on Chuch Street.
L’enfer de Church Street
Hell on Church Street
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
Éditions Gallmeister 2015