Sans droit ni loi - Jacques-Yves Martin
Dans ce premier roman, Jacques-Yves Martin nous plonge dans la première affaire criminelle de son héros. Il s’appelle Boris Thibert, est lieutenant fraîchement émoulu de l’école de police et vient d’arriver à la criminelle de Reims où il est d’astreinte ce soir-là ; c’est davantage par désœuvrement qu’il se rend rue Carnot pour une ouverture de porte. Intervention banale sauf que la mère de l’occupante de l’appartement se tient sur le palier avec sa petite-fille Cloé. Elle a comme d’habitude inséré sa propre clé dans la serrure mais en vain. Les pompiers, obligés d’enfoncer la porte, découvrent Caroline Dufrêne, pendue. La thèse du suicide l’emporte rapidement malgré les propos déchirants de la mère qui affirme que sa fille ne se serait jamais suicidée, pour rien au monde tant elle adorait Cloé. Pour Boris Thibert, la situation est éprouvante : constater un décès fait partie du job, l’annoncer à la famille aussi mais être obligé de faire les deux simultanément, c’est dur, très dur.
Étrangement, l’affaire Dufrêne, classée rapidement par le procureur, continue à tracasser et ronger Thibert. Plusieurs mois se sont écoulés et il ne parvient pas à se débarrasser de l’impression délétère d’être passé à côté de quelque chose. Il a surtout dans les oreilles les cris de la mère et le visage de la petite Cloé. Il décide d’en avoir le cœur net et d’exposer l’affaire à Franck, un ami de très longue date qui exerce la profession d’interne en médecine légale.
C’est avec précaution que Franck accepte de jeter un autre regard sur les photos prises quelques mois auparavant. Après les avoir examinées très attentivement et s’être donné le temps de la réflexion, il est obligé de confier à Boris qu’il il n’y a que peu de place au doute ; selon toute vraisemblance, Caroline Dufrêne ne s’est pas suicidée, elle a été pendue. Commence alors pour Boris un mano a mano avec sa hiérarchie et son supérieur, le commissaire Charrue. S’il parvient à franchir l’écueil du commissaire, en revanche, il se heurte à l’inflexibilité du procureur Denis Nilsen. Quasi humilié par ce dernier, il décide de mener l’enquête, seul et en toute discrétion. Son premier fait d’armes est de convaincre la mère de Caroline Dufrêne de porter plainte contre X pour homicide sur la personne de sa fille et de médiatiser l’affaire en la confiant à un journalise local, Frédéric Périgliano. Il est aussi à la recherche du père de Cloé dont Caroline n’a jamais dévoilé l’identité à quiconque.
Boris Thibert est plutôt du genre introverti, timide, limite asocial. Fragile, il l’est certainement. Il n’a toujours pas intégré le décès de son père dont il ne sait pas en définitive s’il a mis fin à ses jours ou s’il a été victime d’un accident, sa mère changeant de version d’un jour à l’autre, selon son humeur. En proie à des angoisses, il lui arrive de picoler et ça l’inquiète. Il prend aussi des anxiolytiques. Il a si peu confiance en lui qu’il peine à justifier à ses propres yeux le bien-fondé de ses investigations. Il donne perpétuellement l’impression d’être assis entre deux chaises. En même temps, il fait preuve d’une détermination farouche.
Le meurtre d’une jeune femme, Natacha Vernoscky ramène Thibert dans cette même rue Carnot qu’il apprend à redouter. Meurtre n’est sans doute pas le mot exact, la jeune femme a été massacrée dans le local à poubelles de son immeuble. Ni le vol ni le sexe ne semblent être le mobile de ce carnage. La pression devient maximale pour Thibert, contraint de résoudre cette affaire au plus vite, quitte à se tromper d’auteur. Et pourtant, il obtient des aveux d’un certain Lionel Pointu dans l’ordinateur duquel les policiers ont trouvé des centaines d’images à caractère pédopornographique. Pour Thibert, cet homme, s’il n’est pas innocent, n’est pas le meurtrier de Natacha Vernoscky. Il garde cette conviction pour lui.
Dès le moment où Thibert aura identifié le père de Cloé, tout s’accélèrera. Comme il ne peut compter que sur lui-même et la coopération du journaliste Périgliano, il s’expose et prend des risques. Au mépris de toutes les procédures et en dépit du bon sens le plus élémentaire, il met sa vie en jeu et, bien plus grave, celle des autres. Plus il s’approche de la terrible vérité, plus Thibert prend conscience qu’il a besoin de son supérieur pour valider et légaliser ce qu’il a découvert. Mais y parviendra-t-il ?
Premier roman, je vous l’ai dit en préambule de cette chronique. La qualité première de ce Sans droit ni loi est de se lire d’une traite ou presque et c’est énorme. Bien sûr il y a des maladresses, des approximations, des dialogues un peu forcés ou qui sonnent creux ; j’en retiens surtout la générosité et l’honnêteté de l’auteur. Il ne triche pas, nous raconte son histoire avec fougue et enthousiasme, balaye les incohérences car il a envie de nous la raconter jusqu’au bout, cette sale histoire, comme s’il y avait un sentiment d’urgence, l’urgence et la nécessité de la partager. Et à ce titre, j’ai été séduit.
Je suis convaincu que Jacques-Yves Martin est à l’instar de son héros quelqu’un d’entier, un homme qui se nourrit d’un certain idéal et qui est épris de justice. D’une justice qui n’a que faire des positions sociales des uns et des autres, d’une justice la même pour tous, quels que soient les enjeux, médiatiques notamment.
Voilà donc en ce début d’année un premier polar que je vous recommande, vitaminé, plein d’émotion et de sensibilité, imparfait mais au bout du compte, je me demande si ce n’est pas aussi cet aspect brut et imparfait qui m’a plu.
Sans droit ni loi
Jacques-Yves Martin
Éditions Flamant noir (novembre 2016)