Un sale hiver - Sam Millar
Après Les chiens de Belfast (http://jackisbackagain.over-blog.com/2015/10/les-chiens-de-belfast-sam-millar.html) et Le cannibale de Crumlin Road (http://jackisbackagain.over-blog.com/2016/05/le-cannibale-de-crumlin-road-sam-millar.html), voici le troisième volet des aventures de Karl Kane, le privé irlandais.
Quand Sam Millar prend la plume, il le fait avec rage, révolte et colère. Pour cerner et bien comprendre le personnage de Kane, il faut se souvenir d’où il vient et l’auteur nous le rappelle judicieusement. Alors qu’il n’était qu’un gamin, il a assisté au viol et meurtre de sa mère, lui-même ayant été laissé pour mort. Depuis l’époque du meurtre de sa mère, l’obscurité et les espaces fermés l’avaient toujours angoissé, et il commençait à avoir de sérieuses difficultés à se repérer ou à réguler sa respiration.
C’est toujours Belfast qui est le théâtre des enquêtes de Kane, une Belfast en hiver, encore plus sombre, plus triste et plus noire. Pour une fois, Kane ne cherche pas les ennuis quand il ouvre sa porte ce matin-là, ils s’invitent tout seuls sous la forme d’une main sectionnée nichée entre le lait et le journal. La deuxième retrouvée en quelques semaines. Quand bien même Kane ne voudrait pas s’impliquer, il ne peut décemment pas faire autrement lorsqu’il entend qu’un homme d’affaire promet une récompense de vingt mille livres à toute personne fournissant des informations sur l’individu ou les individus à l’origine de ces actes barbares. Il faut payer le loyer et son assistante, Naomi, employée à mi-temps et amoureuse à plein temps.
Parallèlement, il reçoit la visite d’une jeune femme dans son appartement-bureau. Elle s’appelle Jemma Doyle et lui demande de retrouver son oncle, le frère de son père, ce dernier voulant se réconcilier avec son frère avant de mourir. Kane ne résiste pas à la grandeur d’âme qui gouverne la démarche de Madame Doyle – il devrait ; et comme elle a de quoi payer, accepter est la seule option envisageable. Le disparu se nomme Thomas Blake et sa dernière adresse renseigne la charmante petite ville de Ballymena. En réalité, Ballymena semble concentrer toutes les vicissitudes et dépravations du genre humain. Ainsi, Kane peut lire au-dessus de la porte d’un garage une affiche jaunasse : les immigrés sont comme les spermatozoïdes. Ils entrent par millions mais il y en a un seul qui réussit. C’est un petit miracle de le voir revenir à peu près intact de son escapade. Mais vous connaissez Kane, plus il en prend dans la tronche, plus il devient irascible et plus il rend les coups. Un entêtement et un orgueil que d’aucuns jugeraient mal placé mais Kane s’est sans doute juré une chose après le drame de son enfance : surmonter ses peurs et ne laisser à personne le droit de marcher sur ses plates-bandes.
Kane a du flair et de l’intuition, ce qui est précieux dans son métier. Il a bien une petite idée de l’endroit où toutes ces mains pourraient avoir été sectionnées avant d’être impudemment jetées sur la voie publique. Direction les abattoirs de Belfast, ces abattoirs dans l’ambiance desquels l’auteur nous avait déjà plongés avec son Redemption Factory traduit Rouge abattoir (http://jackisbackagain.over-blog.com/article-redemption-factory-sam-millar-111244181.html). Rien n’a changé, l’atmosphère y est toujours aussi glauque, les odeurs écœurantes. La boss s’appelle Geordie Goodman, une femme glaçante, effrayante, à la tête de cette monstrueuse entreprise.
Entre deux visites à son père Cornélius atteint d’Alzheimer et dont la santé mentale se dégrade fort, Karl poursuit ses investigations au mépris de toutes les alarmes qui se déclenchent autour de lui. L‘une d’elles se nomme Mark Wilson qui est l’ex-beau-frère de Karl et surtout le chef de la police locale. Ce qui les rapproche, c’est une haine mutuelle virulente. Une haine cultivée et soigneusement entretenue par chacun.
Chaque enquête de Karl Kane est l’occasion pour l’auteur de malmener et de clouer au pilori les hommes politiques et la police et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, s’en mettent plein les poches en toute impunité. Karl Kane me fait penser à Jack Taylor, le personnage récurrent de Ken Bruen : ils ont tous deux en commun ce même désenchantement, ce même regard un peu triste et désabusé, parfois carrément cynique, cette même tendresse pour les plus faibles et les plus exposés pour lesquels ils n’hésitent jamais à faire le coup de poing et à partir en guerre. Jack est seul, Karl a Naomi Kirkpatrick et cela fait une sacrée différence.
Une enquête de Karl Kane, c’est un peu comme retrouver un bon vieux pote, on sait qu’il va en prendre plein la tronche et on espère le quitter en plus ou moins bon état à la fin du bouquin pour pouvoir le retrouver dans un nouvel opus.
Sam Millar a eu l’excellente idée de donner à chaque chapitre un titre de film ; ce faisant, il m’a donné l’envie d’en voir ou d’en revoir certains.
Un sale hiver
Dead of Winter
Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal
Sam Millar
Éditions du Seuil, avril 2016