Toutes taxes comprises - Patrick Nieto
Sous ce titre curieux se cache un polar qui impressionne par sa maîtrise, son intrigue, ses personnages et son écriture. Des qualités que l’on s’attend à trouver chez des auteurs confirmés mais certainement pas chez un auteur dont c’est le premier roman. Un coup de cœur absolu pour cet essai magistralement transformé par Patrick Nieto, 54 ans et commandant de police.
C’est à Bruniquel, renseigné comme l’un des plus beaux villages de France, qu’un assassin décide de frapper. Pierre-Henri Sennelier, très proche conseiller du président de la République, Sarko en personne, est abattu d’une balle dans la nuque dans sa résidence secondaire. C’est la stupeur et l’effroi chez les villageois. Car, voyez-vous, à Bruniquel, les habitants, lorsqu’ils partent de chez eux, ne ferment pas leur porte, les vols sont l’apanage des pies et les pires assassins sont les chats qui traquent les campagnols. Alors, vous pensez bien, le meurtre d’un homme, un proche du pouvoir qui plus est et dont le coupable reste introuvable, ça vous bouscule les habitudes, ça vous fout les jetons.
L’auteur a choisi le roman choral pour nous raconter son histoire. Et c’est là que le lecteur peut mesurer l’étendue de son talent. Chaque chapitre est narré par un personnage différent. Le premier à s’exprimer est l’assassin, le deuxième, la victime, le troisième, le policier, le quatrième, premier témoin, le cinquième, la veuve, suivent l’avocate, deuxième témoin, et ainsi de suite. S’ajoutent d’autres personnages qui n’interviendront qu’à une seule reprise, soit l’espace d’un chapitre. Mais tous, sans exception, dévoilent toujours un petit chouïa en plus, permettant au lecteur de suivre cette enquête pas à pas. Le roman choral est un procédé littéraire classique mais qui exige une maîtrise sans faille de l’intrigue et de ses personnages. L’auteur assure avec brio.
Après le premier chapitre qui nous confronte à l’assassin, j’avais déjà pressenti une lecture peu ordinaire, quelque chose d’inhabituel, ce petit truc qui enthousiasme et qui pousse à tourner les pages. Patrick Nieto connaît ses personnages par cœur et même plus. Ils possèdent chacun une immense crédibilité lorsque la parole leur est donnée. Tous dégagent ce charisme et cette franchise qui nous les rendent sympathiques, certains moins que d’autres compte tenu de leur rôle dans l’histoire mais tous font ou non aveu de faiblesse (l’orgueil en est une) et de fragilité si bien que cette intrigue policière est avant tout une comédie humaine.
L’intrigue est finement tressée, solidement nouée et la tension monte graduellement. Cet assassin dont on sait dès les premières pages qu’il a été payé pour le job apparaît petit à petit comme un être particulièrement nocif et dangereux d’autant qu’il se découvre une réelle vocation à tuer. Surtout, il prend un malin plaisir à confier son savoir-faire au lecteur qui, lui, n’a rien demandé et se sent étrangement mal à l’aise car impuissant. Impuissant parce qu’il ignore l’identité du meurtrier et littéralement entre deux chaises car il ne fait aucun doute que le tueur est quelqu’un du coin, quelqu’un qui se fond dans le paysage jusqu’à se rendre invisible. C’est aussi la même angoisse qui étreint les villageois ; l’assassin n’est pas quelqu’un qui a étudié méticuleusement la topographie des lieux, c’est un des leurs, un Bruniquelais à moins que ce ne soit un Nègrepelissien.
Il est difficile de sortir un personnage du lot, tous sont formidables. Mais dans les circonstances, rendons justice au commissaire François Lemoine, brigade criminelle du SRPJ de Toulouse, à qui échoit cette enquête sous très haute tension. Qui d’autre que lui-même peut le mieux se décrire ? Je suis un homme d’habitude et je déteste l’imprévu. « J’ai des tocs mais ce n’est pas de ma faute. Par exemple, je suis incapable de partir au travail sans avoir vérifié à plusieurs reprises la parfaite symétrie de mon nœud de cravate et la concordance de sa couleur avec celle de mes chaussettes et de mon costume… ». « Ma semaine est réglée comme du papier à musique, à chaque jour correspond une tâche déterminée et immuable. Le lundi soir, je valide ma liste de courses sur le net ; elle n’a pas varié depuis quatre ans. J’ai établi des menus pour tous les jours de la semaine pour ne pas gaspiller mon temps à réfléchir à ce que je vais manger. Le mardi, je classe mes timbres ; j’en possède environ dix mille, dont la moitié n’a pas rejoint son emplacement définitif dans les albums impeccablement alignés de ma bibliothèque. Le mercredi, je cire mes paires de chaussures que je les ai portées ou pas… ».
Vous pourriez penser que vous avez entre les mains un whodunit, roman d’énigme classique. Toutes taxes comprises est bien plus que cela. En effet, Parick Nieto habille son polar de la plus belle couleur qui soit, le noir. La légèreté côtoie le côté très sombre, adret versus ubac, l’auteur s’érige en observateur aiguisé de la nature humaine, toute en contraste. Le final vous laissera coi, l’auteur bousculant les codes et nos confortables habitudes.
Toutes taxes comprises
Patrick Nieto
Éditions Cairn