Lagos Lady - Leye Adenle
Entre autres nombreux avantages d’être membre de l’association 813, l’association des amis des littératures policières, il y a le plaisir de recevoir en fin d’année un roman, polar ou roman noir. C’est ainsi que ce Lagos Lady est tombé dans mes pattes et il est excellent. Qui plus est, c’est un premier roman et j’aime ça.
Cette chronique tombe au moment où 82 jeunes filles viennent d’être libérées par le groupe terroriste Boko Haram. Pour rappel, elles étaient 276 lycéennes de 12 à 17 ans à avoir été enlevées en avril 2014. Relayé par les médias du monde entier, l’enlèvement de masse des lycéennes de Chibok (nord-est) avait provoqué une vague d’indignation internationale, notamment via Twitter sous le hashtag #Brinbackourgirls (Ramenez-nous nos filles), relayé jusqu‘à la Maison Blanche par l'ex-première Dame Michelle Obama.
Si je fais référence à cette actualité, c’est que la condition de la femme dans ce pays musulman islamiste est détestable. Par le biais de la fiction, l’auteur nous emmène au Nigeria et nous fait visiter de l’intérieur un pays miné par la corruption à tous les étages et où la prostitution est absolument effarante.
Venons-en au roman. Guy Collins est un journaliste londonien. Il vient d’atterrir au Nigeria pour couvrir les élections présidentielles ; en réalité, il ne doit sa présence sur le sol du plus grand pays d’Afrique en nombre d’habitants (plus de 186 millions) qu’au désistement d’un collègue. Sortir seul quand on est blanc et qu’on ne connaît rien ni personne à Lagos (mégalopole de plus de 12 millions d’habitants) n’est pas une bonne idée. Alors qu’il boit un verre dans un club, des bruits venant de l’extérieur le font sortir. Il découvre en même temps que la foule amassée le corps d’une jeune femme jetée sur le bas-côté de la route. Ses seins ont été tranchés. Embarqué par la patrouille de police arrivée sur les lieux, il échoue dans un commissariat bondé de prostituées. Il y est entendu par l’inspecteur Brahim sur les raisons de sa présence sur le territoire nigérian. On n’aime pas trop les journalistes ici et encore beaucoup moins quand ils sont témoins de faits crapuleux et sordides. Jeté dans une cellule surpeuplée puant l’urine, la sueur et la peur, il sera relâché grâce à l’intervention de la sculpturale Amaka, véritable ange gardien des prostituées venue s’enquérir du sort des filles ramassées ce soir-là et plus précisément s’assurer qu’elles ne doivent pas payer de caution pour leur libération.
Magnifique portrait de femme que celui d’Amaka. Fille d’ambassadeur, elle a connu une enfance matériellement heureuse. Ces conditions favorables ont été bouleversées par les abus sexuels dont elle a été victime de la part de gens de maison engagés par ses parents. Elle aurait pu mener une vie aisée au Nigeria ou ailleurs mais elle a fait le choix de rester et de se battre contre ce fléau. « J’ai créé un fichier sur tous les hommes qui ont recours aux prostituées, à Lagos. J’ai leurs noms, leurs adresses, leurs numéros de téléphone. Je sais où ils travaillent, ce qu’ils aiment faire, combien ils paient. Je sais lesquels sont brutaux, lesquels sont mariés, ceux qui frappent les filles, ceux qui en prennent deux à la fois, ceux qui ne mettent pas de préservatif. J’ai le numéro de leurs plaques d’immatriculation… » « ...Ce dossier me sert à protéger les filles. Quand un homme veut en emmener une, elle vérifie le numéro d’immatriculation de sa voiture. Je vérifie dans mes archives et je lui dis à quoi s’attendre, combien elle peut lui demander, ce genre de trucs. » Collins n’a rien d’un héros, sa seule préoccupation est de sauver sa peau ; il se demande ce qu’il est venu faire dans ce pays d’autant que la boîte qui l’a dépêché sur les lieux n’y a aucune notoriété. Sa rencontre inopinée avec Amaka va changer la donne. Le magnétisme que dégage la jeune femme, son combat pour les filles dont rien ne semble pouvoir la détourner, sa détermination farouche dans un monde ultraviolent, dangereux et sous haute tension vont miner ses (in)certitudes. Au contact d’Amaka, il voit peut-être enfin l’occasion de sortir de sa propre médiocrité. Elle le croit journaliste pour la BBC. Elle lui demande d’écrire un article dénonçant la prostitution. Guy Collins sent poindre autre chose. « …Ça n’allait pas être un simple entrefilet ni un simple post sur un blog. Il s’agissait d’un scoop, et même bien davantage. Cela pouvait donner un livre approfondi, fruit d’une longue enquête – le genre de bouquin dont on parle dans les journaux télévisés du matin. C’était sans doute un peu trop gros pour moi, enfin, je veux dire, écrire un livre, ce n’est pas à la portée de tout le monde… » « …J’avais l’occasion de faire quelque chose de grand, quelque chose d’important, qui pouvait changer ma vie, ma carrière… »
Sur fond de magie noire et de rituels solidement ancrés dans une population d’une très grande pauvreté, Leye Adenle nous livre un premier roman vraiment noir. Il met brillamment en lumière le fossé savamment et cyniquement entretenu entre les très pauvres et les très riches. Pas mal d’Européens vivent à Victoria Island dans des quartiers cossus, hautement sécurisés. Ils emploient et exploitent la main d’œuvre locale en ce compris les prostituées qui viennent égayer leurs soirées. Quand la police d’un état est à ce point sous-payée et mal formée, il est inéluctable que ses représentants se sucrent et arrondissent leur paie. Plus inquiétant le fait qu’ils soient sous l’emprise de stupéfiants. Cela donne une scène hallucinante dans une cellule du commissariat « …Dans un geste fulgurant, Hot-Temper a fait basculer son flingue vers le plafond, l’a armé sèchement, ramené au niveau de sa taille, et il a tiré une seule balle, assourdissante, dans la tête du jeune désigné par la femme. Une odeur de poudre a envahi la pièce. La femme a laissé échapper un cri et s’est effondrée. Je suis resté planté, bouche bée, n’arrivant pas à croire ce que je venais de voir. Je crois que j’ai crié « Putain », encore et encore, mais je n’entendais plus rien – la détonation m’avait rendu momentanément sourd. Hot-Temper tenait encore son arme pointée sur la victime et tremblait de rire comme s’il venait de faire une bonne blague. Mais ce n’était pas une plaisanterie : le crâne du type s’était pulvérisé sur tout le sol de la cellule – cervelle, sang, éclats d’os. »
La quatrième de couverture mentionne un polar survolté et drôle. Tarantino y est même cité. J’ai eu du mal à voir l’humour et déceler le comique. Certes, j’ai côtoyé des joyeux allumés de la tête répondant aux surnoms colorés de GoSlow, CatchFire ou KnockOut mais ils sont tellement dingues qu’on ne peut décemment que leur souhaiter le pire.
Pour tout qui veut voyager un peu, Lagos Lady est un premier roman très, très convaincant. Un polar porté magistralement par ses personnages dont Amaka, bien évidemment. Le final laisse augurer d’une probable suite. Et c’est tant mieux.
Lagos Lady
Leye Adenle
Titre original : Easy Motion Tourist
Traduit de l’anglais (Nigeria) par David Fauquemberg
Éditions Métailié Noir 2016