Le dernier Hyver - Fabrice Papillon

Publié le par Jean Dewilde

 

D’une manière générale, les « briques » ne m’emballent guère et j’apprécie beaucoup les auteurs qui ficellent leurs intrigues en peu de mots. Ici, le thème choisi par l’auteur et que je pourrais appeler Une certaine histoire de l’humanité ou d’Hypathie à nos jours refuse la concision. Un pavé justifié en quelque sorte.

J’ai apprécié, énormément, ce dernier Hyver pour une raison simple : jamais l’auteur ne perd son fil conducteur, fil d’Ariane pour être en phase et la conséquence est qu’il ne perd jamais son lecteur. C’est l’une des grandes qualités de cette épopée qui débute en août 415 à Alexandrie et qui connaît un épilogue le 15 août 2018 à Paris. Je dis bien un épilogue car la quête est évidemment éternelle. La quête de quoi, me demandez-vous à raison. Vous le découvrirez en lisant ce roman magistral qui fait voyager le lecteur dans des époques et des lieux multiples et différents avec d’incessants allers-retours sur l’enquête en cours à Paris.   

Chapitre 1. Août 415 après J-C. Alexandrie : La ville d'Alexandrie s'assoupit dans une odeur âcre de chair brûlée. Hypatie, philosophe et mathématicienne d'exception, vient d'être massacrée dans la rue par des hommes en furie, et ses membres en lambeaux se consument dans un brasier avec l'ensemble de ses écrits. 

Chapitre 2. Août 2018. Paris, boutique Hermès : le commandant de la Crim Marc Brunier, cinquante-quatre ans, 1,85 mètre, un balèze, contemple un cadavre, plus exactement ce qu’il en reste. En 27 ans de PJ, il n’a jamais vu ça. « …Les morceaux s’entassaient pêle-mêle, laissant deviner les jambes, disposées en L, qui chevauchaient les avant-bras. Par-dessus reposait le crâne. Quelques volutes de fumée s’évaporaient encore des orbites. Les membres étaient tous calcinés, les os saillaient entre les derniers lambeaux nécrosés... » Pour Marie, stagiaire depuis une semaine à l’Identité Judiciaire, c’est, sans jeu de mots, le baptême du feu.

Très vite, elle se sent mal à l’aise, car les examens du tas fumant de la boutique Hermès révèlent qu’il s’agissait d’une jeune femme d’environ vingt ans, un mètre soixante-quinze, des dents parfaites, exactement comme elle. Ce ne serait rien s’il n’y avait ce cauchemar récurrent dans lequel elle se voit brûler, sans aucune chance d’en réchapper.

Ce qui échappe complètement à Brunier et son équipe, c’est  comment ce cadavre calciné a pu être transporté sans qu’aucune trace à l’extérieur comme à l’intérieur de la boutique n’ait pu être relevée. Marie et son sens de l’observation viennent au secours des enquêteurs. Elle remarque que la célèbre statue du Centaure de César qui trône fièrement sur la place proche de la boutique Hermès a été dégradée, à savoir les attributs reproducteurs de la bête ont été sciés. Au sol, coincé dans une grille métallique un objet noir que les enquêteurs vont d’abord identifier comme un morceau de charbon de bois avant de se raviser ; il s’agit bien d’un morceau d’os calciné. Sous la grille, une sorte d’escalier qui mène à une station de métro désaffectée. Première plongée dans le Paris souterrain, un univers à part entière, effrayant, étrange et fort prisé des cataphiles.

Le lecteur sera invité à plusieurs reprises à retourner dans ces carrières souterraines reliées entre elles par des galeries. L’auteur s’est abondamment documenté sur ce réseau et ses visiteurs si bien que le lecteur bon gré, mal gré, est embarqué dans cette atmosphère anxiogène, dans ces lieux obscurs, parfois nauséabonds. Il y a notamment une scène impressionnante où les hommes du RAID chargés de tout leur matériel descendent dans les catacombes. Ils n’en mèneront pas large.

L’auteur n’a pas oublié de donner de l’étoffe et de l’humanité au responsable de cette enquête hors norme, le commandant Marc Brunier. Un homme partiellement détruit au moment où nous faisons sa connaissance. Abruti par les affaires et l’ambition, il a petit à petit délaissé sa compagne Fadia et leur fille Sarah. Sans qu’il ne voie rien venir, Sarah a débarqué un jour voilée par un hijab avant de disparaître probablement en Turquie où l’on a perdu sa trace. Sa compagne Fadia a sombré de dépression en dépression sans jamais remonter la pente. Quelques semaines après la disparition de sa fille, les premières crises d’épilepsie l’ont agressé en pleine rue et ne l’ont plus quitté. Il a trouvé un certain réconfort dans la religion catholique vers laquelle il se tourne aujourd’hui encore.

Parallèlement à l’enquête en cours et il y aura forcément d’autres cadavres, le lecteur est amené à découvrir ou redécouvrir des personnalités remarquables parmi lesquelles Léonard de Vinci, Démocrite, John Dee, Paracelse, Élisabeth Ière d’Angleterre, Voltaire, Newton, Rosalind Franklin, et bien sûr, Hypathie, pierre angulaire du roman. En toute honnêteté, je n’avais jamais entendu son nom auparavant. Philosophe, mathématicienne et astronome, elle est la seule femme de l’Antiquité à être passée à la postérité. Un hommage lui a d’ailleurs été rendu à l’occasion de la Fête de la science 2017 qui s’est déroulée en octobre dans l’Hexagone.

Les différentes époques et lieux dans lesquels nous immerge l’auteur sont reconstitués avec soin et minutie. Il faut saluer le travail de documentation de Fabrice Papillon dont la bibliographie citée à la fin du livre est impressionnante. Pour ne pas la citer, l’Inquisition est cette période bénie où l’on imaginait toutes sortes de jeux pour faire souffrir les gens. Et d’imagination, l’homme n’en manque jamais dans ce domaine, c’est ahurissant !

Le livre raconte aussi la volonté farouche des érudits et grands esprits de tous temps de transmettre leur savoir et leurs connaissances avant de mourir ; il restitue aussi cette peur viscérale que leur science puisse tomber dans de mauvaises mains et leur recherche quasi obsessionnelle du bon interlocuteur, de la bonne courroie de transmission.

Un roman ambitieux et très bien écrit. J’ai appris plein de choses, les retenir en est une autre. Le lecteur curieux que je vous sais être peut s’emparer avec enthousiasme de ce dernier HYVER. Le roman est aussi fort bien balancé et équilibré entre l’enquête qui se déroule aujourd’hui et les plongées dans les temps plus lointains. Une belle réussite.

 

Le dernier Hyver

Fabrice Papillon

Éditions Belfond (septembre 2017)

Publié dans Le noir français

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