Punk Friction - Jess Kaan

Publié le par Jean Dewilde

 

L’auteur est du nord de la France, l’intrigue de ce titre qui en rappelle un autre, célébrissime, se déroule…dans le nord de la France. Les faits relatés s’étalent d’un lundi 15 février jusqu’à un samedi 20 février. Auchel, une  cité minière et industrielle autrefois prospère. Autrefois car aujourd’hui, comme dans tant d’autres villes du Pas-de-Calais, c’est la désolation et le désœuvrement. Plans sociaux, délocalisation, le couplet désormais habituel auquel on ne prête même plus attention à moins d’être directement concerné. Petite délinquance, de quoi pimenter un peu le quotidien mais rien de bien méchant. Jusqu’à ce lundi 15 février, tôt le matin, où le cadavre d’un homme calciné est retrouvé dans l’allée du cimetière local.

Le capitaine Philippe Demeyer, capitaine à la DIPJ de Lille, est de mauvais poil. Déjà qu’il doit se farcir la présence de Boris Lisziak, le petit nouveau, vingt-quatre ans, le genre à honorer les horodateurs avec la 406 de service. Et puis, ce barbecue à une heure indue dans une allée de ce foutu cimetière, il y a moyen de mieux commencer la journée. A cinquante balais bien tassés, Demeyer a depuis longtemps remisé ses idéaux au placard et jeté la clé. Sur place les attend Garance Fazuras, lieutenante du commissariat d’Auchel. Blonde, les cheveux coupés au carré, la trentaine. Demeyer, Lisziak, Fazuras, un trio qui ira jusqu’au bout d’une enquête qui s’avérera particulièrement glauque. Pour l’heure, ils n’ont rien, aucune piste si ce n’est la présence de quatre jeunes punks dans le coin.

Comme si cette enquête ne suffisait pas, ils reçoivent l’ordre impérieux d’enquêter sur le meurtre de Sara Vignard, une étudiante en droit de dix-neuf ans dont le corps massacré a été retrouvé à 5h49, le samedi 13 février dans une rue de Santes (Lille).

Sans transition, dans cette chronique comme dans le livre, nous faisons la connaissance de Géant, un mec dont on comprend qu’il a pété les plombs, définitivement, le différentiel pour les reconnecter n’ayant pas été prévu par l’électricien. Un fou, un malade, un tueur. Pour mieux maîtriser et se maîtriser, il s’est même offert un stage de commando niveau 1 auprès de Moshe, un ex du Mossad.

A l’aube du mardi 16 février, l’enquête progresse. Le cadavre du cimetière a pu être identifié ; il s’agit d’une des quatre jeunes punks. Par ailleurs, Amélie Tourbières, une amie de Sarah Vignard, a été placée en garde à vue par le capitaine Demeyer. Surprise en train de fouiller l’appartement de son amie après en avoir brisé les scellés, elle n’a pu donner à sa présence que des explications confuses et peu convaincantes. Si le tandem Demeyer/Lisziak ne la soupçonne pas du meurtre de Sarah proprement dit, ils sont convaincus qu’elle est impliquée d’une manière ou d’une autre.

Sous ses allures de dur à cuire et de collègue à l’abord difficile, parfois franchement détestable, le capitaine Demeyer a une trajectoire personnelle douloureuse, un fardeau qu’il porte seul, à bout de bras. Alors, en pleine enquête, quand sa sœur Marie l’appelle parce qu’elle ne sait plus que faire de leur mère, il lâche l’enquête et son collègue, le temps d’un aller-retour pour signer les papiers officialisant l’admission administrative de leur mère dans un EPSM (établissement public de santé mentale). Et je ne vous dis pas tout.

Quand le cadavre d’un deuxième punk et en l’espèce, il s’agit de la brunette de la bande, est retrouvé débité en morceaux dans des sacs poubelles, la pression sur les enquêteurs est à son paroxysme. Deux enquêtes distinctes à mener de front sans personnel supplémentaire, ça devient beaucoup. Et comme dit le Commandant, on travaille en flux tendu.

Jess Kaan n’est pas un nouveau venu dans l’écriture et cela se sent immédiatement. Ses personnages principaux et secondaires ont du coffre et de l’épaisseur. Les dialogues sonnent juste. L’auteur connaît cette région sur le bout des doigts et en restitue l’atmosphère si particulière avec un grand réalisme. C’est gris, c’est moche, c’est triste ou version édulcorée, c’est devenu gris, moche et triste.

Jess Kaan signe avec ce Punk Friction un polar sombre et brutal qui puise ses racines dans l’étouffement et l’extinction progressifs de l’économie d’une région. Il souligne le désœuvrement d’une jeunesse qui n’a comme exemple que des parents dans le meilleur des cas, un père ou une mère le plus souvent qui triment et bossent comme des ânes, salaires de misère,  horaires infernaux. Les conséquences pour ces jeunes sont dramatiques puisque leurs aînés n’ont plus ni l’envie ni le temps et l’énergie de s’intéresser à leur vie à eux. Leur donner le gîte et le couvert est déjà un objectif à réaliser au quotidien. Alors, s’occuper des loisirs et des fréquentations de leurs mômes, vous n’y pensez pas ! Les mômes en question sont presque honteux de leurs parents, les voir courber l’échine, rentrer harassés, lessivés du turbin, ça ne les inspire pas, ça les dégoûte même. Évidemment, s’ils ont un peu de thune, ça ne se refuse pas.

En plantant le décor de son roman à Auchel et le Nord, Jess Kaan a écrit un polar social. Le (petit) bémol personnel que j’apporte au roman et surtout vers la fin, c’est cette dénonciation systématique de l’abandon par l’État de cette région, des conditions de vie, de l’absence de perspective, etc… Selon moi, ce n’était pas nécessaire car tous les personnages que l’auteur fait vivre sous sa plume dans ce polar singulier font brillamment le job.

Un final très surprenant, des enquêteurs en morceaux auxquels je me suis franchement attaché, un certain nombre d’interrogations sans réponse, voilà qui augure peut-être d’une suite dont je me réjouirais.

Au passage, vous apprécierez la superbe couverture, lumineuse et inspirante.

 

Punk friction

Jess Kaan

Éditions Lajouanie (août 2017)

 

Publié dans Le noir français

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