Les Belges reconnaissants - Martine Nougué

C’est dans une librairie bruxelloise que ce titre s’est offert à moi. Je ne m’attendais pas à le trouver là, en tête d’une sorte de gondole, la librairie étant expressément spécialisée en articles religieux. Ceci dit, ils possèdent un rayon polar riche et intéressant, la preuve, et j’éprouve toujours un malin plaisir à y acheter de temps à autre quelques bouquins. Faire la queue entre quelqu’un les bras encombrés de chapelets (je sais, il en faut beaucoup pour avoir les bras encombrés) et un autre croulant sous les icônes me remplit d’une joie malsaine et intense, moi qui me trimballe avec quelques meurtres sous les bras et des personnages dont l’intérêt pour le petit Jésus est inversement proportionnel à la haine qu’ils vouent à leur prochain.
Étant belge, le titre à lui seul suffisait pour déclencher chez moi la fièvre acheteuse. Un polar qui se lit d’une traite ou quasi, tant le récit mené tambour battant est fluide, sans temps mort et rebondit régulièrement et dans des directions que le lecteur n’attend pas. Pour autant, votre main libre ne se crispera pas autour de la courtepointe ou dans les poils du matou assis sur vos genoux. La quatrième de couverture est la suivante :
Castellac est un village apparemment tranquille jusqu'au jour où son maire est retrouvé raide mort dans la garrigue. Pénélope Cissé, officier de police du commissariat de Sète, va devoir fouiller dans le passé trouble du village pour retrouver l'assassin de Monsieur le Maire. Elle sera confrontée à quelques habitants pittoresques mais pas toujours très coopérants, protégeant leurs petits secrets et peu amènes à l'égard de ces « étrangers », les nouveaux habitants venus du Nord, ou cette flic africaine qui fouine dans leurs histoires.
Avec Pénélope Cissé, Martine Nougué a été magnifiquement inspirée. Elle a composé un personnage qui a tout, absolument tout pour heurter les Castellacois. Le genre, la fonction, la couleur de peau. Elle est femme, flic et noire. Elle résiste aussi à peu près à tout, au racisme primaire solidement ancré des bas de plafond du village ou aux plaisanteries salaces et vulgaires du médecin légiste. Du caractère, elle en a à revendre et à ceux qui se demandent comment elle a échoué dans ce bled d’abrutis, la raison est simple, il s’agit d’une mutation disciplinaire. La seule chose qui la préoccupe vraiment est le délai qu’elle mettra pour élucider le meurtre du premier magistrat de Castellac car elle a en point de mire des vacances dans son pays natal, le Sénégal. Six mois déjà qu’elle n’a plus vu sa fille Lisa-Fatouh, confiée aux bons soins de sa grand-mère.
Mais pour l’heure, Pénélope a d’autres chats à fouetter. Le commissaire Garamont lui a donné carte blanche - en réalité, il est ravi de ne pas conduire lui-même cette enquête pourrie – et lui a adjoint le jeune Dujardin, fraîchement sorti de l’école de police. L’état dans lequel le corps du maire a été découvert laisse effectivement augurer d’une enquête qui risque de déranger bien des villageois. « …Le cadavre était totalement nu, recroquevillé sur lui-même, le dos lacéré et…un collier de chien autour du cou ! On a retrouvé la laisse dans un fourré pas très loin… » Tels sont les premiers mots prononcés par le juge Monteil qui tient Pénélope en haute estime et c’est peu de le dire.
Les premières constatations de Bigard, le légiste, viennent ajouter encore à la confusion naissante : « …votre mec ne s’est pas ennuyé avant de passer l’arme à gauche ! … » « …Il s’en est donné à cœur joie l’animal, de tous les côtés. Même après plusieurs heures le cadavre avait encore la bite en chalumeau, c’est dire ! Et j’ai l’impression qu’il y avait du monde dans les garrigues la nuit dernière. Genre méga partouze sous les étoiles, vous voyez le tableau ? Des spécialistes, en plus, le corps a gardé les traces de certains petits raffinements… » Pour trivial qu’il soit, Bigard est un excellent professionnel et la présence de digitaline dans le sang du maire ne lui a pas échappé. Un empoisonnement n’est pas à exclure.
Dans ces petits villages reculés, il arrive souvent que l’écharpe maïorale se transmette de génération en génération, personne ne remettant jamais en cause le travail de l’édile en place. Mais à Castellac, les dernières élections ont été chaudes. D’un côté, Ludovic Gallieni, le maire sortant et de l’autre, Marianne Grangé, journaliste à l’agence France Sud mais surtout une militante écologiste déterminée à changer les mentalités. Une campagne rude au terme de laquelle Gallieni a finalement été réélu à une large majorité.
Moi, je l’adore, Pénélope, lui donner carte blanche, c’est aussi lui donner l’occasion de mettre les pieds dans le plat et croyez-moi, elle ne s’en prive pas. Quel que soit son interlocuteur, elle garde le cap, cool, détendue, les sens aux aguets. Elle écoute et recueille les confidences des uns et des autres, sans avoir l’air d’y toucher et lorsque la nécessité s’en fait sentir, elle rappelle fort opportunément qu’elle est lieutenant de police. Le commissaire Garamont est hors de lui : « …Mais enfin, Cissé, c’est quoi ce bordel ?? Vous vous rendez compte de ce que vous faites ? La moitié des notables de Castellac en garde à vue, c’est du délire ! Trois élus, le pharmacien, les piliers de la société de chasse, le clairon de la fanfare municipale et le garde-champêtre : vous n’y allez pas de main morte, il ne manque plus que le curé !... »
Et les Belges dans tout ça ? Moi, je ne vous en dirai rien sinon que l’auteure n’a pas choisi le titre à la roulette russe.
Martine Nougué signe avec Les Belges reconnaissants un premier roman soigné et d’excellente facture. L’autopsie d’un microcosme au travers d’une loupe tantôt tendre et drôle, tantôt féroce et incisive. Il me tarde de retrouver l’incontournable Pénélope Cissé dans un nouvel opus car elle dégage une énergie et une fraîcheur réellement vivifiantes dans un monde d’enquêteurs parfois quelque peu coincés.
Les Belges reconnaissants
Martine Nougué
Éditions du Caïman (janvier 2015)