Le festin de l'aube - Janis Otsiemi

Publié le par Jean Dewilde

 

A la lecture de ce nouveau roman noir de Janis Otsiemi, une évidence s’impose, il n’est pas rémunéré par l’office du tourisme de son pays. C’est plutôt à boulets rouges mâtinés d’une certaine tendresse qu’il tire sur son pays qui reste désespérément coincé dans un ersatz de démocratie. En effet, les élections présidentielles qui ont eu lieu en 2016 ont confirmé le président Ali Bongo dans ses fonctions et tout comme en 2009, les résultats ont été vainement et violemment controversés par les forces d’opposition. Prochain round en 2023.

Avec ce festin de l’aube, l’auteur nous propose une double intrigue. Trois heures de matin, Louis Boukinda, lieutenant à la Direction générale des Recherches de Libreville, revient d’une fête de mariage en compagnie de sa femme Jacqueline. Il tombe des cordes, la visibilité est quasi nulle ; soudain, son véhicule heurte quelque chose. Le quelque chose est une jeune femme, entièrement nue à l’exception d’un slip. Le visage ruisselant d’eau et de sang. A cette heure et à cet endroit – une ancienne zone industrielle - la seule chose que Boukinda peut faire est de la conduire lui-même au CHU de Libreville.

Au même moment et non loin de là, quatre hommes découpent le grillage d’une base militaire pour y voler des explosifs. En réalité, c’est un véritable arsenal de guerre qu’ils dérobent.

Le collègue de Louis Boukinda, Hervé Envame, le rejoint à l’hôpital où la jeune femme accidentée a plongé dans le coma. Une solide amitié existe entre les deux hommes. Ils apprennent de la bouche du médecin en charge de la jeune femme que celle-ci a été brûlée, battue et violée. Elle mourra à 5h30 non des sévices qu’elle a subis ni des conséquences de l’accident. De quoi, alors ? Les nombreux hématomes que le Docteur Moussavu avait constatés sur les pieds de la victime étaient en fait des traces de morsures de serpents. Un taux de venin dix fois supérieur à celui que l’on peut trouver habituellement chez une personne mordue par un reptile. Rien n’aurait pu sauver la jeune femme. Reste aux deux policiers le devoir d’identification. Ils n’ont pour ce faire que le tatouage d’un aigle dans le cou de la victime. L’horreur les attend. 

vipère du Gabon

L’enquête sur le vol d’armes et d’explosifs est confiée au capitaine Pierre Koumba, directeur des Affaires criminelles de la PJ de Libreville et à son collègue, le capitaine Jacques Owoula. Les relations sont tendues avec leur supérieur, le colonel Essono, qu’ils surnomment « Le Petit Père des Peuples », un tribaliste qui recrute ses collaborateurs parmi les personnes de son ethnie. Pratique commune à toute administration du pays.

Les armes volées resurgissent sous la forme du braquage d’un fourgon blindé d’une violence inouïe. De nombreux morts et un butin estimé à 50 millions de CFA. Une scène de guerre comme Koumba et Owoula n’en ont encore jamais vu. Mais quel objectif réel se cache derrière cette attaque ? Il est vrai que nous sommes en pleine campagne électorale, alors, un  coup d’état en préparation ?

De leur côté, Boukinda et Envame ont à peine réussi à identifier la victime des morsures de serpent qu’ils sont appelés par le CHUL pour un nouveau cas. Ils redoutaient un tueur en série, ils sont certains d’avoir affaire à l’un d’eux.

Deux enquêtes distinctes dont la résolution réclamera un coup de pouce du destin, formidablement amené, ceci dit.

L’auteur nous plonge dans le quotidien de son pays, un quotidien qui ne fait pas forcément envie. Le lecteur a le sentiment que la vie y est fragile, qu’elle ne tient le plus souvent qu’à un fil, que la violence est partout, tout le temps y compris du côté de ceux qui portent les armes réglementairement. On tire d’abord, on discute ensuite. Au fil de ses romans noirs, l’auteur évoque inlassablement l’économie et la société gabonaises et les dérives d’un pouvoir corrompu.

Le lecteur est embarqué manu militari dès les premières pages par le rythme imprimé au récit. Si la réflexion n’est jamais très loin, c’est l’intrigue qui concentre toute l’attention du lecteur et elle est menée tambour battant, émaillée d’expressions du parler local, toutes aussi savoureuses les unes que les autres. J’en épingle quelques-unes que j’ai notées au fil de ma lecture. Avoir la bouche sucrée : être un beau parleur – Avoir son sentiment à côté : avoir un avis différent – Serrer l’os à quelqu’un : échanger une poignée de main – boutiquer son cul : se prostituer. Les épigraphes placées en tête des chapitres sont toutes issues du parler local. Le ruisseau perd la tête à l’entrée de la savane ou Les oreilles ne sont pas polygames.

Le titre du livre, Le festin de l’aube désigne cette jeune femme venue se jeter sous les roues du véhicule conduit par le lieutenant Boukinda.

Je vous recommande chaudement ce roman noir d’excellente facture et dépaysant à souhait. Ayez la curiosité de lire la chronique qu’en a écrit Vincent sur son blog The Big Blowdown. Un amoureux de l’Afrique qui a vécu plus de trois ans au Gabon.

https://thebigblowdown.wordpress.com/2018/02/20/janis-otsiemi-le-festin-de-laube/

 

Le festin de l’aube

Janis Otsiemi

Éditions Jigal 2018

Publié dans Le noir gabonais

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Y
Retour de l'auteur chez son éditeur Jigal pour le meilleur, franchement, quel voyage au Gabon. Tout ce que j'aime chez J. Otsiemi est là, la langue, les personnages, la vie dans son pays, ...
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V
Ah mon ami, que je suis content que tu aies aimé ce bouquin. L'Afrique respire vraiment entre les pages de Janis Otsiemi. Et merci pour le lien vers mon article.<br /> Je te serre l'os... <br /> Amicalement,
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J
Rendons à César ce qui est à César. Tu peux mieux que n'importe lequel d'entre nous comprendre et sentir cet esprit africain. Le lien s'imposait, mon ami. La bise.