Coupable(s) - Samuel Sutra - Éditions Flamant noir (2018)

Samuel Sutra, c’est le lauréat du Balai d’Or 2014 pour son sensationnel Kind of Black : http://jackisbackagain.over-blog.com/2013/12/kind-of-black.html.
Un multi instrumentiste de l’écriture, aussi à l’aise dans le registre comique et drôle avec les aventures de son Tonton que dans le registre dramatique. Coupable(s) s’inscrit bien évidemment dans le second. Coupable(s), c’est d’abord une couverture qui fascine et terrorise. Difficile de détourner le regard de cette paire d’yeux qui implorent, accusent et semblent demander : pourquoi ?
HAÏTI. 12 janvier 2010 - 16 h 50. Le pays est frappé par le plus meurtrier tremblement de terre de son histoire. L'aide humanitaire afflue de partout. PARIS. Aujourd'hui. Quatre personnes sont retrouvées sauvagement assassinées. Toutes sont liées à un projet baptisé «Kenscoff ». Un cinquième individu est recherché. Pour prêter main-forte à la Brigade criminelle dans cette enquête particulière, un jeune policier rejoint l'équipe. Haïti, il connaît bien. Il y est né.
Samuel Sutra s’empare d’un sujet terrible à plus d’un titre. Terrible parce que ce séisme a, selon Wikipédia, fait 230 000 morts et à peu près autant de blessés, terrible encore parce que je ne m’en rappelle pas ou à peine et je ne dois pas être le seul, terrible enfin parce que des individus ont vu dans les projets immobiliers de reconstruction de l’île une occasion de s’enrichir via des cahiers de charge détaillant des matériaux répondant aux normes antisismiques et autres phénomènes naturels. La réalité est que les entreprises ayant remporté les marchés publics en arrosant copieusement les personnes bien placées ont construit en papier mâché et que les logements d’un grand nombre de Haïtiens et Haïtiennes s’écrouleraient à la moindre secousse sismique. Ainsi, les maisonnettes du quartier Jalousie, un immense bidonville de Port-au-Prince, ont été repeintes de couleurs vives suite à une décision gouvernementale. Le touriste peut ainsi voir un paysage polychrome et multicolore qui cache et dissimule une misère sans nom.

Nous parlions polar et je ne l’oublie pas mais ma digression ci-dessus n’a d’autre objectif que de vous situer le contexte du roman. Jean-Raphaël Deschanel, Jean-Raph’, lieutenant à la Sécurité intérieure, est dépêché au 36, Quai des Orfèvres, le temps d’une enquête. Ce n’est pas un rêve de gosse mais certainement un rêve depuis qu’il est entré à la police. Le boss de la Crim’ est le commandant Blay dont le nom seul suffit à inspirer l’écoute et le respect. L’affaire pour laquelle Blay a contacté le patron de Jean-Raph’ est une sordide affaire de meurtres. Quatre en quinze jours. Le quatrième et dernier meurtre a enfin permis de les relier entre eux. Une carte de visite appartenant à la première victime trouvée dans la poche de la veste du dernier cadavre. Et puisque la première et la dernière victime se connaissent, on part du principe que les quatre macchabés ont un lien entre eux. Jusque là, ils avaient traité ces meurtres comme des cas isolés parce que commis aux quatre coins de Paris et selon des modi operandi fort différents. La seule constante de l’équation était la sauvagerie et l’acharnement avec lesquels les quatre hommes avaient été mis à mort. Ce lien, ils l’ont longtemps cherché, c’est Haïti et Jean-Raph’ est là parce qu’il est né en Haïti, qu’il en a étudié l’histoire, la langue et la culture.
Blay lui a assigné le lieutenant Bruno Legendre comme partenaire. Jean-Raph’ le décrit comme un de ces braves mecs que la police réussit parfois à garder intacts, sans les dénaturer. Un brave. Au sens noble du mot. Un gars serein, à la gentillesse chevillée au corps, qui ne s’en départit jamais, même dans les situations qui le réclament. Un de ceux qui te secouent un mec comme un prunier pendant une garde à vue, juste parce que c’est le job, mais qui ne se laissent pas envahir par les humeurs qui te flinguent à coups d’ulcères.
Les quatre binômes, un par victime, reprennent donc l’enquête à zéro en intégrant la nouvelle donne, Haïti, dans leurs investigations. Ils bénéficient de l’assistance de Vanessa Dubreuil, Docteur en psychologie appliquée, spécialisée dans les comportements criminels. L’auteur nous propose un beau portrait de femme dans un univers composé en majorité d’hommes traditionnellement réputés pour leur machisme et leur réticence à considérer la femme autrement qu’un objet à mettre dans leur plumard. Menue et jolie, elle s’avère également compétente et surtout convaincante, ce qui n’est pas gagné et acquis face à une légende vivante telle que le commandant Blay.
Samuel Sutra nous emmène dans les méandres des combines et des arrangements coupables post-tremblement de terre. La confusion, la détresse et la pagaille qui règnent sont autant d’opportunités de se faire du fric via l’obtention de marchés publics simplifiés, de devis gonflés, de pots-de-vin versés. La situation sanitaire attise l’appétit des rapaces humanitaires enrobés dans une feinte dignité.
C’est une enquête à tombeau ouvert qui glace les sangs. Favre, Maréchal, Carsini, Meursault, quatre noms, quatre hommes suppliciés et mis à mort avec une cruauté et une froideur qui en disent long sur la haine qui pulse dans les veines de leur meurtrier car les enquêteurs en sont persuadés, c’est un homme et un seul homme qui est l’auteur de ces mises en scène macabres. Quels actes ignobles ont-ils pu commettre pour crever ainsi ? Et s’il restait encore un cinquième homme à trouver et abattre ?
Formidable polar avec Haïti en toile de fond ou à l’avant-plan, Coupable(s) est un uppercut d’autant plus efficace qu’il s’appuie sur des faits avérés. J’en suis ressorti secoué, un peu groggy. La grande réussite de Coupable(s) tient dans les personnages qui sont tout bonnement grandioses et qui apportent toute la crédibilité nécessaire au récit. Les salauds sont franchement des sales types, Jean-Raph’ a ce côté déconcertant d’un ado qu’il n’est plus et d’un adulte qu’il peine à devenir. Que dire du commandant Blay qui a vraiment la stature d’un policier et d’un chef d’équipe d’excellence ? Vanessa Dubreuil emporte tous mes suffrages. D’une froideur clinique au 36, d’une spontanéité touchante dans le privé, elle est d’une réflexion, d’une perspicacité et d’une ténacité qui font mouche. Sans elle, d’ailleurs, on est en droit de se demander quel tour aurait pris l’enquête.
Ce nouveau polar de Samuel Sutra est publié chez Flamant noir, un gage de qualité.
Coupable(s)
Samuel Sutra
Éditions Flamant noir (2018)