Le fruit de mes entrailles - Cédric Cham - Éditions Jigal (septembre 2018)

Publié le par Jean Dewilde

 

Avec ce titre, je fais connaissance avec l’auteur. J’avais besoin d’un livre sans trop de personnages, d’une intrigue pas trop complexe et d’une dynamique robuste et sans faille. Il y a tout cela dans ce livre et bien plus, je parle des émotions qu’il génère. Plus d’une fois, je me suis surpris à transpirer des yeux, plus d’une fois, j’ai grimacé de dégoût et de douleur.

Je n’ai aucun scrupule à vous donner la quatrième de couverture telle quelle ou presque. Elle dit juste ce qu’il faut savoir, après, chacun en fera sa propre lecture.

Vrinks, fiché au grand banditisme, finit de purger une longue peine en centre de détention quand on lui annonce brutalement que le corps mutilé de sa fille Manon a été retrouvé dans un fleuve. Fou de rage, il ne pense plus qu’à s’évader pour la venger.

Amia, jeune femme d’une vingtaine d’années, prisonnière d’un sordide réseau de prostitution, réalise soudainement qu’elle va être mère. C’est peut-être le signal qu’elle espérait pour trouver la force de fuir les griffes de ses bourreaux.

La capitaine Alice Krieg, en charge du dossier Vrinks, est une flic pugnace de la brigade de recherche des fugitifs. Elle, a grandi sans père, en a toujours souffert et plus encore aujourd’hui quand elle découvre sa cruelle maladie.

Ces trois personnages principaux, nous faisons leur connaissance dans les trois premiers chapitres, courts et denses. Amia subit les outrages d’un client dans le premier. Elle trime pour un mac qui se double d’un tortionnaire. Dans le deuxième, Vrinks est appelé au parloir. Son ex-femme, Hélèna, qu’il n’a plus vue depuis plus de cinq ans, lui annonce le décès de leur fille, Manon. Dans le troisième, nous assistons à la fin de cavale de Kostas, un truand fiché au grand banditisme, par l’équipe d’Alice.

Trois personnages en totale détresse, qui vont trouver, chacun pour des raisons différentes, l’énergie du désespoir pour sortir la tête hors de l’eau. Quand Simon Vrinks s’évade, il a bien conscience que son temps est compté avant que les flics ne lui remettent le grappin dessus. En réalité, il s’en fout, il veut juste vivre le temps nécessaire pour venger sa fille, Manon. Quand le destin met Amia sur sa route, il ne se doute aucunement  des émotions qui vont s’abattre sur sa carapace de dur à cuire et s’y infiltrer. Amia a quasi l’âge de sa fille, il pourrait tout aussi bien être son père. La cavale les rapproche, l’horreur les réunit et les soude. Il y a toute la culpabilité d’un père qui n’a pas su être là pour protéger sa fille et toute la volonté d’une jeune femme pour protéger l’enfant qui grandit en elle. Amia et Simon, Simon et Amia, deux fugitifs, deux héros banals, qui ne comptent pour personne mais qui crachent et crient leur humanité à la gueule du monde. Ils sont deux et c’est leur vraie et unique force.

Alice, la capitaine de police, dont l’équipe est chargée de traquer et de ramener Vrinks en taule, doit affronter seule cette boule en dessous du sein. Le cancer tue, la solitude peut-être plus encore. De son père, elle n’a qu’une photo de format polaroid, elle ne connaît pas son nom. Sa mère lui a toujours promis qu’elle lui en parlerait plus tard. Une promesse qu’elle n’a pu tenir, écrasée par un chauffard en état d’ivresse. Alice avait treize ans.

La prostitution est déjà glauque, l’univers dans lequel nous emmène  Cédric Cham échappe à tout entendement. Les snuff movies. Pour tout vous dire, naïveté oblige, j’ai été presque choqué d’en trouver une définition sur Wikipédia. Elle existe. Le snuff movie ou snuff film est un terme désignant une vidéo ou un long-métrage mettant en scène la torture, le meurtre, le suicide ou le viol d'une ou plusieurs personnes. Dans ces films clandestins, la victime est censée ne pas être un acteur mais une personne véritablement tuée ou torturée.

L’auteur, s’il s’arrête vraiment sur ce phénomène, ne perd pas de vue ses personnages. Il les jette dans le fosse aux lions. Simon a acquis la certitude que Manon a été massacrée lors du tournage d’un de ces films sordides ; Amia, en visionnant la bande-annonce de l’un d’eux, reconnaît une amie. Dès lors, pour l’un comme pour l’autre, la seule rédemption possible est la vengeance et la mise hors d’état de nuire des meurtriers. Simon a beau avoir été fiché au grand banditisme, principalement pour braquages de fourgons blindés de transports de fonds, il ignore tout de l’ennemi qu’il est sur le point d’affronter. Des hommes, à peine, dépourvus de sentiments, pour lesquels une mort en direct se négocie à coups de billets de banques.

Les trois personnages principaux sont bouleversants d’authenticité. Les personnages secondaires le sont aussi, tel Angelo, un truand à l’ancienne comme Simon. Rien ne les relie professionnellement, mais le lecteur devine qu’ils sont unis comme deux frères. Le lieutenant Ibar, équipier d’Alice, sera celui auquel elle se confiera quand elle n’en pourra plus de taire le mal qui la ronge.

L’écriture est vive, incisive, nerveuse, les chapitres sont courts. L’auteur imprime un tempo soutenu à l’intrigue. Les dialogues intelligents et cinglants rendent ce bouquin impossible à lâcher. D’un côté, on a envie d’aller au bout, d’une traite, en apnée ; de l’autre, la simple pensée que tous pourraient ne pas sortir indemnes nous retient car elle est insupportable.

Certains lecteurs pourront trouver certaines scènes glauques. Elles le sont. Elles témoignent du pire, de ce que certains êtres humains sont capables d’infliger à leurs semblables. Mais on n’a pas attendu le roman de Cédric Cham pour le savoir. A cet égard, Amia, Simon et Alice sont un contrepoint à la barbarie, une lueur d’espoir, une étincelle dans les ténèbres et la noirceur. Il faut couver l’étincelle, toujours.

Ce roman profondément noir est au-delà de la morale. Son registre est celui des émotions et des sentiments extrêmes, les personnages sont dopés à l’adrénaline. La réflexion n’a pas de place quand il s’agit purement et simplement d’une question de vie ou de mort.

Si vous voulez en savoir plus sur l’auteur et plus particulièrement sur Le fruit de mes entrailles, je vous recommande l’entretien de Cédric Cham sur Bepolar. Voici le lien : https://www.bepolar.fr/Les-secrets-de-Cedric-Cham

 

Le fruit de mes entrailles

Cédric Cham

Éditions Jigal (septembre 2018)

Publié dans Le noir français

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