Cross - Marc s. Masse -Éditions Flamant Noir 2018

Après avoir travaillé de nombreuses années comme officier de police, Éric Milan officie comme détective privé. Vous connaissez un privé qui gagne bien sa vie, vous ? Peu importe, Milan est plutôt du genre à ramer pour nouer les deux bouts, d’autant que sa femme a demandé le divorce.
Quand un certain Martin débarque dans son cabinet, Milan se dit que cet homme est peut-être sa bouée de sauvetage, du moins avant qu’il ne prenne la parole. Car ce qu’il lui propose est totalement insensé, hors norme. Mais lorsqu’il s’agit de venger un enfant, peut-on raisonnablement s’attendre à un comportement rationnel de la part d’un père ? En effet, Martin veut venger son fils, décédé sur le coup dans un accident de voiture. Le conducteur de l’autre véhicule ne s’est même pas arrêté. Le témoin unique de l’accident, un camionneur polonais, du haut de son bahut n’a pu qu’indiquer que le véhicule qui l’avait doublé était une luxueuse Mercédès immatriculée en France et qu’il lui semblait que son conducteur était chauve ou tête rasée. Il évoque aussi une balafre sur la joue mais avec beaucoup de réserve.
La police n’a pas réussi à mettre la main sur le chauffard malgré l’insistance du père. Martin a enquêté de son côté, s’est posé la question suivante et y a répondu. Pourquoi le chauffard ne s’est-il pas arrêté ? Lâcheté, peur ? Sans doute. Mais est-ce bien la bonne question ? Ou était-il simplement pressé de rejoindre quelqu’un ou quelque chose ? Ce quelque chose, Martin en est convaincu, pourrait être un événement sportif unique, immanquable, Le Grand Cross, qui a lieu tous les quatre ans. Le graal pour tous les amateurs de course à pied. Une course de l’extrême comme on en voit fleurir un peu partout. Pensez donc : Huit étapes, distance journalière à parcourir de trente à septante kilomètres. Par tous les temps. Pour amuser la galerie et surtout encaisser les droits télé des chaînes du monde entier, les organisateurs ont planifié pour le dernier jour un double marathon.
Ce que Martin propose à Milan, c’est d’identifier l’assassin de son fils dont il est convaincu qu’il sera l’un des 2500 participants à l’épreuve et…de l’éliminer contre une rémunération confortable, il est quand même question de 300 000 mille euros. Quant à la méthode, Martin a aussi une idée. Il connaît le passé sportif de Milan et veut qu’il soit au départ du Grand Cross. Il ne peut pas y avoir de meilleure couverture. Surtout, il reste neuf mois avant le départ de l’épreuve, neuf mois à Milan pour retrouver une condition physique digne de ce nom.
Milan hésite. Il n’a rien d’un assassin. Mais il est dans la dèche. Il ne s’agit pas non plus de flinguer le gars, le pousser dans un ravin ou du haut d’une falaise suffit. Alors, 300 000 euros, c’est tentant. Reste l’extrême difficulté de l’épreuve. Sur ce point aussi, Martin a la réponse. S’il est aussi bon détective qu’il l’affirme, Milan n’aura besoin que d’une ou deux étapes pour faire le job. Milan accepte.
Pendant neuf mois, il s’attèle à travailler sa condition dans la plus grande discrétion ; pas question de faire partie d’un club de running, il veut prendre le départ totalement incognito. Un anonyme sans aucune référence.
L’auteur a choisi les courses de l’extrême pour planter et développer son intrigue. Original et audacieux. En mettant son héros au cœur de la course, il nous fait découvrir de l’intérieur ces athlètes dont la plupart n’ont d’autre ambition que de franchir la ligne d’arrivée. Et ils sont nombreux à y parvenir. Existe-t-elle réellement cette solidarité entre coureurs alors que l’exercice est avant tout individuel ? Les autres sont-ils source d’émulation, un repère, une balise ? Qu’est-ce qui incite des gens comme vous et moi, surtout vous à s’inscrire moyennant paiement à ces épreuves ultra sélectives ? Dépassement de soi, repousser les limites, ça veut dire quoi ? Ce sont des questions qui traversent ce polar sans que l’auteur ne s’y arrête ou les décortique car son propos est ludique et exclusivement ludique.
Ce que Milan n’avait pas prévu, c’est que le meurtrier du fils de Martin est censé être parmi les coureurs chevronnés qui courent pour la gagne. Alors qu’il souffre le martyre, il prend conscience qu’il va devoir élever son niveau s’il veut se mêler aux hommes de tête. La situation, déjà bien tordue, se complique un peu plus quand un coureur grec est retrouvé assassiné dans un ravin et que Milan lui-même est l’objet d’intimidations.
Marc S. Masse en fait beaucoup mais jamais trop. Il réussit à instiller et à rendre palpable la tension qui règne dans ce genre de compétition. Le tempo est endiablé. Le lecteur tourne les pages au rythme des (meilleurs) coureurs et ça va vite, très vite. Un polar addictif que l’on referme essoufflé mais sans ampoules aux pieds.
Une mise en garde aux lecteurs : n’allez pas chercher dans ce polar ce qui ne s’y trouve pas. Le récit est à la première personne, c’est Milan qui raconte et vous prend par la main. Les dialogues sont rares, ce qui s’explique par sa volonté de rester anonyme autant que possible. Il ne parle pas beaucoup, sauf quand il ne peut faire autrement. Des autres concurrents, vous ne connaîtrez que la nationalité. Ils sont américains, marocains, kényans, écossais, italiens. Milan n’engage pas la conversation, moins il attire l’attention, moins on se souviendra de lui. Si les personnages n’ont pas l’épaisseur psychologique que vous souhaitez, c’est à dessein et c’est cohérent.
Ne manquez pas les deux chroniques que je vous recommande, celle de Pierre : https://blacknovel1.wordpress.com/2018/10/24/cross-de-marc-s-masse/
Et celle d’une fervente admiratrice de Sherlock Holmes
Pour conclure et rester dans l’ambiance, je vous mets le lien vers une course au-delà du raisonnable. Avant de dire à vos gamins que non, le foot, il n’en est pas question, regardez ces photos, superbes mais interpellantes.
https://www.theatlantic.com/photo/2012/01/tough-guy-2012/100235/
Cross
Marc S. Masse
Flamant Noir Éditions 2018