Candyland - Jax Miller (Éditions Ombres Noires 2017)
Enfin, je l’ai lu. Après Les infâmes http://jackisbackagain.over-blog.com/2016/03/les-infames-jax-miller.html, je viens de refermer Candyland, deuxième roman de cette incroyable et épatante auteure. Ce titre est en compétition pour la neuvième édition du Balai d’Or, cuvée 2019. Il m’étonnerait que cette jeune femme connaisse Franz Barthelt qui dit que pour peindre les mœurs, le noir est la bonne couleur. En tout cas, elle a d’instinct intégré et avec quel talent les ténèbres dans ses romans.
Il faut être en forme et sain d’esprit pour se plonger dans Candyland. Une balade à la fois merveilleusement belle et terriblement macabre. Cette fois, Jax Miller nous entraîne en Pennsylvanie au cœur d’une ville minière qui ne l’est plus. Quand on naît dans les comtés de Cane et Vinegar, on y meurt, il n’y a pas d’exception.
William Billy Braxton est inspecteur de police dans le comté de Cane. Il est à une semaine de la retraite. Dire qu’il y aspire serait mentir. Alcoolo jusqu’au fond de la glotte, il n’en assure pas moins l’ordre depuis trente-cinq ans. Et tout le monde se fiche pas mal qu’il boive ou non, du moment qu’il reste dans les clous. Son supérieur n’est autre que son beau-frère, Junior McIntosh, un pâle type. Braxton est marié à Deb McIntosh, ce mariage n’est pas un désastre, c’est pire. L’échange de fiel entre les deux conjoints est à ce point toxique que le lecteur se demande comment ils ont réussi à ne pas s’entretuer depuis toutes ces années. Ils n’ont pas eu d’enfant, ce qui est assurément leur plus grande réussite.
Sa retraite, Braxton va devoir faire une croix dessus. En effet, le corps sans vie de Thomas Gingerich est retrouvé à moitié bouffé par un ours dans une galerie d’une ancienne mine. L’autopsie révèle qu’il s’agit d’un meurtre. Thomas est le fils de Sarah Gingerish, ancienne amish, le personnage central du livre. Reine de la confiserie, elle tient sa propre boutique.
Par ailleurs, Braxton doit aussi affronter Ruby Heinz, sorte de Calamity Jane qui règne sans partage sur le trafic de gnôle et de meth depuis son repère dans les montagnes de Cokesbury. Elle est descendue de ses montagnes pour une seule raison : demander à Braxton de retrouver son fils Owen, treize ans et deux autres jeunes garçons disparus sans laisser de traces. Le cauchemar peut commencer.
Enfin, il y a Danny, le cousin de Braxton, et sa fille unique Allison. Danny a purgé une très longue peine de prison avec la conséquence qu’Allison a été prise en charge par le couple Deb McIntosh/William Braxton. La femme de Danny est décédée d’un cancer du poumon il y a des années mais il ne sait toujours pas comment vivre sans elle.
Fréquenter Jax Miller le temps d’un livre, c’est l’assurance de s’évader. Dans son premier roman Les infâmes, elle avait déjà composé et malaxé des personnages extraordinaires dont celui de son héroïne, Freedom Oliver. Dans Candyland, Sarah Gingerish reprend le flambeau. Sarah est issue de la communauté amish, une communauté religieuse qui vit en autarcie, repliée sur elle-même. La première règle amish est : « Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure ».
Sarah a renié les siens au nom d’un grand amour qui n’appartenait pas à sa communauté mais au monde des Anglais. Pour les Amish est Anglais toute personne ou tout étranger qui n’est pas amish, quelle que soit son origine et même si il ou elle ne parle pas un traître mot de la langue de Shakespeare.
Bienvenue en enfer. Le monde dans lequel Jax Miller enferme ses personnages est celui des mauvais choix qu’ils traînent comme des boulets. A supposer qu’ils aient pu choisir un jour. L’Amérique, c’est les grands espaces, pourtant, ici, le lecteur a le sentiment d’un huis clos tant le désespoir est fort. Une claustrophobie que génèrent les liens entre les protagonistes, des liens délétères, destructeurs mais indéfectibles, à l’image de ce dialogue entre Braxton et Deb, son épouse :
…
« Tu pourras être parti d’ici dix-huit heures ?
- Comment il s’appelle, ce soir ?
Elle leva les yeux au ciel. « J’organise une soirée Botox.
- Une quoi ? »
Pour la première fois de la matinée, sa femme le regarda en face.
« Une réunion de mégères d’âge mur qui se soûlent au gin et s’injectent mutuellement le botulisme dans le front ? » reprit Braxton.
Elle sourit, releva ses cheveux en un rapide chignon.
« C’est ça, Braxton. » Elle posa les mains à plat sur le plan de travail, ses faux seins toujours exposés, aussi rigides que la posture de son mari. « Tu n’as pas une bouteille de gnôle où disparaître ? Une grotte au fond de laquelle retourner ?
- Il se trouve que oui, sale garce. »
La sonnette retentit, les forçant à recomposer leur masque de couple le plus envié du quartier.
« C’est Rose (adjoint de Braxton). Je l’ai invité pour étudier le dossier. Habille-toi un peu, tu veux ? Ou tu as prévu de le baiser aussi ?
- Qu’est-ce qui te dit que ce n’est pas déjà fait ? »
L’auteur trempe sa plume dans le vitriol, le cyanure et l’arsenic réunis. Une plume fougueuse, rageuse, décapante. A croire que Jax Miller a des comptes à régler avec cette Amérique des campagnes pudibonde, suffisante et bornée.
En campant deux figures féminines aussi puissantes et attachantes que Freedom Oliver dans Les infâmes et Sarah Gingerish dans Candyland, Jax Miller rend aussi hommage à ces femmes, victimes de l’immaturité et de la violence aveugle des hommes. A l’inverse de leurs homologues masculins, leur générosité et leur spontanéité sont réelles, elles ne calculent jamais. Mais la violence des femmes peut aussi et de très loin surpasser celle des hommes…
Je pourrais vous parler de cette lecture pendant des heures tant ce roman m’a sidéré. Une maîtrise totale et une écriture imprégnée de poésie comme l’illustre cette phrase :
« …Thomas était une machine bien huilée, dont les écrous et les boulons menaçaient de sauter. Il avait l’impression de n’être que des fragments de personne qui n’arrivaient pas à s’assembler, parce que la colle ne séchait jamais… »
C’est la même traductrice qui a traduit Les infâmes et Candyland. Elle s’appelle Claire-Marie Clévy. Je salue son travail car elle restitue à merveille l’univers si particulier de Jax Miller. Formidable !
Comme je ne veux pas être le seul à provoquer votre lecture, je vous mets le lien vers deux chroniques de Candyland, celle de Pierre du blog Blacknovel : https://blacknovel1.wordpress.com/2017/10/08/candyland-de-jax-miller/ et celle d’Yvan du blog Emotions : https://gruznamur.com/2017/09/18/candyland-jax-miller/
Candyland
Titre original : Candyland
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire-Marie Clévy
Éditions Ombres Noires 2017