L’inspecteur Dalil à Paris – Soufiane Chakkouche – Éditions Jigal (février 2019)
Avec ce premier roman, l’auteur nous propose une intrigue qui introduit deux personnages que j’ai déjà hâte de retrouver dans une nouvelle enquête. A propos d’enquête, celles et ceux qui liraient la quatrième de couverture pourraient se rendre coupables d’une fâcheuse hésitation en apercevant le mot transhumanisme. C’est vrai, il est vilain, ce mot, je ne l’aime pas non plus. En plus, il est effrayant. Je rassure tout le monde. Soufiane Chakkouche n’a pas écrit un polar sur les neurosciences et les biotechnologies. Elles sont juste une porte d’entrée à l’intrigue principale qui consiste à retrouver un étudiant marocain kidnappé en plein Paris, lequel préparait une thèse sur…vous l’aurez deviné, le transhumanisme.
Fraîchement retraité, l’inspecteur Dalil s’adonne à la pêche, son passe-temps favori lorsqu’il est interrompu dans son lancer de canne par un émissaire envoyé par le BCIJ marocain (Bureau Central d’Investigation Judiciaire). Il a beau invoquer ne plus être en service, son supérieur, connaissant sans doute l’orgueil du personnage, n’a pas de mal à lui faire accepter sa mission : assister les enquêteurs français pour retrouver Bader Farisse, l’étudiant kidnappé, vivant, si possible. Argument suprême autant qu’imparable : puisqu’il existe une retraite anticipée, il doit bien exister une retraite retardée.
L’inspecteur Dalil, 1,85 mètre, soixante et un ans dont quarante passés dans la police marocaine est un policier brillant au pouvoir d’observation et de déduction cultivé et élevé au rang d’art. Un homme raffiné. Il ne porte jamais d’arme, pas de téléphone portable, seule une vieille sacoche en cuir tannée et usée ne le quitte jamais quand il voyage. Lorsque l’avion se pose à l’aéroport Charles De Gaulle, l’inspecteur Dalil est « accueilli » par le commissaire Guillaume Maugin, de la brigade criminelle, enquêteur en chef dans l’affaire Bader Farisse. Dalil le décrit comme un homme blond dont la quarantaine est sur le point de s’épuiser, une taille à peine suffisante pour intégrer l’armée mais le regard pétillant de malice. Il a la tête de l’emploi mais pas le corps.
Très vite, et pour le plus grand plaisir du lecteur, la collaboration entre les deux policiers vire rapidement à l’affrontement mesquin, aux joutes verbales, aux petites piques et brimades donnant des dialogues bigrement savoureux. Quand un Marocain, même et peut-être surtout policier, vient chasser sur les terres d’une légende locale car Maugin est une légende vivante de la Crim, les étincelles sont inévitables, même si les deux ont la classe de se mesurer la plupart du temps en privé. Prompt à se décourager, l’enquête ne progressant pas, le commissaire Maugin trouve en l’inspecteur Dalil une bouée de sauvetage, une fusée éclairante. En témoigne ce dialogue :
«…- Ça y est, cette affaire nous échappe, se plaignit-il.
- Si j’étais vous, commissaire, je ne vendrais pas encore mon âne, dit Dalil.
Maugin leva un regard surpris et brailla bêtement :
- Hein ?
- Navré, c’est l’habitude. « Vendre son âne » est une expression de chez moi qui veut dire renoncer, « jeter sa langue aux chiens » comme vous dites chez vous.
- On dit chez nous : « donner sa langue au chat » et non « jeter sa langue aux chiens ».
- Navré encore une fois, commissaire, mais je dois vous reprendre au nom de la vérité. « Jeter sa langue aux chiens » est bien l’expression qu’utilisaient vos ancêtres au XIXe siècle pour signifier qu’ils cessaient de chercher la réponse, expliqua Dalil sans prétention aucune… »
Chacun usant de ses méthodes aux antipodes les unes des autres, l’inspecteur marocain et le commissaire français découvrent peu à peu que la menace qui plane sur l’Hexagone est sans précédent. Unir leurs forces n’est pas un luxe d’autant que le temps presse.
L’inspecteur Dalil n’est pas arrivé seul en provenance de Tanger. Sa Petite voix l’accompagne. Elle n’est rien d’autre que l’expression muette et intérieure des réflexions et des états d’âme de l’inspecteur à la seule destination du lecteur. Il lui arrive parfois de s’échapper de la bouche de l’inspecteur, se rendant ainsi audible de tous et le mettant dans l’embarras, le résultat étant qu’il parle seul et tout haut.
Dalil et Maugin, l’eau et le feu. Ils vont pourtant se découvrir une passion commune. A l’origine de celle-ci, une voiture, pas n’importe quelle voiture, une Ford Mustang noire modèle 1965. Maugin possède un exemplaire parfaitement conservé de cette merveille devant laquelle Dalil est carrément prêt à se prosterner :
« …- C’est un beau bébé que vous avez là, commissaire.
- Je sais, répliqua le chauffeur, fier comme Artaban. C’est une Ford Mustang Hard top coupé, modèle 65, ajouta-t-il en caressant du revers du doigt le cheval en métal au galop gravé sur le volant tulipé.
- Permettez-moi d’apporter une petite correction, commissaire, se permit Dalil.
En grand seigneur dans son carrosse, Maugin donna son aval par un mouvement de la main.
- De prime abord, ce modèle ne date pas de 1965 mais de 1964, poursuivit-il, et à en juger par ce tableau de bord linéaire emprunté à la Ford Falcon et qui n’avait pas encore subi de réagencement, cette belle black a vu le jour entre avril et juillet 1964. C’est bien pour cette raison que les collectionneurs surnomment ce modèle le « 64 ½ ». Beaucoup d’amateurs ignorent que l’un des nombreux coups de génie de Lee Iacocca, directeur général de Ford à l’époque, était de sortir le millésime 1965 en avril 1964, le 17 si on veut être plus précis.
- Vous ne m’apprenez rien, inspecteur. Je suis un collectionneur chevronné, dit Maugin en enfonçant davantage l’accélérateur, visiblement offensé… »
Ford Mustang ou pas, nos deux lascars ont intuitivement bien compris que la meilleure collaboration consiste à enquêter chacun de leur côté et à confronter leurs résultats ensuite. Le lecteur a beau s’amuser comme un fou, l’auteur rappelle énergiquement nos deux enquêteurs à l’ordre. Diable, on ne badine pas avec le terrorisme et ses barbus exaltés !
C’est un choix éminemment judicieux que celui opéré par l’auteur. Proposer d’emblée deux personnages forts et tout aussi attachants l’un que l’autre. Car la vraie réussite du roman réside dans les propos et dialogues échangés entre Maugin et Dalil. Ils sont irrésistibles. L’enquête semble parfois glisser au second plan. Détrompez-vous. Vous avez affaire à deux professionnels du crime, deux hommes à l’expérience colossale.
Pour couronner ce premier roman, Soufiane Chakkouche convie le lecteur à un final inattendu, totalement surprenant. Une rafale qui vous fait prendre en pleine tronche le volet que vous ouvrez avec peine. Un premier roman écrit avec style, une plume délicate et raffinée, un plaisir augmenté.
Pour les mordus de quatrième de couverture, la voici:
Pour les mordus de la quatrième de couverture, la voici :
L'inspecteur Dalil, fin limier de la police marocaine à la retraite – toujours accompagné de son inséparable Petite voix –, est fermement invité par les services de sûreté à se rendre à Paris pour mener une enquête en collaboration – un peu forcée – avec le commissaire Maugin, boss du 36 quai des Orfèvres. Bader Farisse, un étudiant marocain qui préparait une thèse sur le transhumanisme, a été enlevé devant la mosquée de la rue Myrha. Il venait de mettre au point une micropuce qui, une fois reliée au cerveau humain, permettrait, non seulement, de se connecter directement à Internet mais aussi de multiplier à l'infini les facultés du greffé... Une invention diabolique qui semble intéresser beaucoup de monde... services secrets et groupes terroristes compris ! Dalil et Maugin – deux hommes et deux cultures policières que tout oppose – vont alors tout tenter pour désamorcer cette bombe à la puissance inédite !
L’inspecteur Dalil à Paris
Soufiane Chakkouche
Éditions Jigal (février 2019)