Piégée – Lilja Sigurdardóttir (Métailié Noir 2017 – Points (8 mars 2018)
Je vous invite à une balade hivernale dans cette île désormais célèbre pour ses auteurs et auteures de polar : l’Islande. Comme beaucoup, j’ai lu pas mal de polars nordiques avant de m’en détourner quelque peu, à un moment où la quantité a pris parfois le pas sur la qualité.
Lilja Sigurdardóttir est née en 1972 en Islande et a été repérée en 2008 à l’occasion d’un concours organisé par une maison d’édition islandaise dont l’objectif était de trouver un nouvel auteur de romans policiers. Le titre Piégée que je vous propose aujourd’hui est le premier volet d’une trilogie éditée par les éditions Métailié. Le deuxième opus de la série s’intitule Le filet et La cage qui sort en ce mois de mars 2019 clôt la trilogie.
J’ai beaucoup aimé la fraîcheur qui parcourt ce roman dont l’héroïne est une jeune femme. Elle s’appelle Sonja. Elle est la mère de Tomas, un petit garçon de sept ans qu’elle ne voit qu’un weekend sur deux, le juge ayant décidé d’accorder la garde de l’enfant à son père, Adam. Ce dernier a effectivement surpris sa femme en plein adultère avec Agla, une collègue de la banque dans laquelle il travaille. Tómas, lui, ne vit que pour ces weekends avec sa mère, les relations avec son père sont tendues.
Comment et surtout pourquoi Sonja en est-elle arrivé à devenir passeuse de drogue ? Sans le sou après son divorce, elle ne s’est pas étonnée plus que cela de recevoir un appel téléphonique de Thorgeir, avocat, qu’elle connaît pour l’avoir croisé à deux ou trois reprises lors de l’une ou l’autre soirée. Avec cette simple phrase empathique : « Il paraît qu’Adam t’en fait voir de toutes les couleurs, laisse-moi t’aider », le sort de Sonja est quasi scellé. Elle le sait bien, en temps normal, les avocats n’appellent pas pour offrir leurs services. Bien sûr qu’elle a eu un soupçon en acceptant de se rendre au Danemark, soi-disant pour aider un ami de Thorgeir, coincé sur place avec des devises étrangères à cause des restrictions imposées après le krach bancaire en 2008. Nous sommes en novembre 2010 et les enquêtes pour malversations battent leur plein. A ce moment, Sonja est particulièrement fragile et donc vulnérable. Sa vie part en lambeaux.
Piégée se situe à mi-chemin entre La daronne de Hannelore Cayre et Leona de Jenny Rogneby. Le point commun à ces trois romans est que l’héroïne en est une femme et que toutes trois versent dans l’illégalité.
Tout est réussi dans ce premier opus. La tension s’installe dès les premières lignes et ne faiblit à aucun moment. Les livraisons de coke qu’effectue Sonja sont décrites avec minutie, elle-même se comporte en professionnelle, elle n’attire pas l’attention, elle passe pour la parfaite femme d’affaires. Elle a pourtant les nerfs à vif lors du contrôle des bagages quand bien même elle a passé des heures à emballer et réemballer la marchandise. L’imprévu, par nature, est imprévisible. Sa couverture, elle la connaît sur le bout des ongles puisque c’est elle-même qui se l’est inventée : programmeuse de logiciels chez S.G. Software, sa propre boîte.
Et puis, il y a les personnages, qui sont tout sauf des enveloppes vides. Agla, l’amante torride, sans cesse partagée entre désir brûlant et culpabilité ; une passion charnelle dévorante mais une relation compliquée puisque Agla n’assume pas son homosexualité. Elle est également sous le coup d’une enquête pour manipulation de marché en sa qualité d’ancienne directrice d’une banque d’investissement. Elle aussi a le sentiment de perdre pied.
Bragi, le vieux douanier proche de la retraite, toujours amoureux de sa femme, Valdís, atteinte d’une maladie neurodégénérative. Des pages touchantes quand il lui rend visite dans la maison de repos où elle réside.
« Elle se laissa faire, chancelante, sans montrer aucune émotion – ni hâte, ni angoisse. Elle était devenue extrêmement docile, et d’une certaine manière il préférait la voir ainsi, désormais complètement perdue dans les brumes de son esprit. Elle ne pleurait plus lorsqu’il partait, ne se désespérait plus de voir ses forces décliner, ne se révoltait plus devant son infortune. Le seul prix à payer était qu’elle ne le reconnaissait plus. »
Bragi termine sa carrière à l’aéroport international de Keflavik et il aime observer, imaginer la vie de tous ces passagers qui prennent l’avion comme d’autres prennent le bus. Immanquablement, son regard tombera sur une jeune femme, toujours bien habillée, le port altier, posée. Une business woman.
Adam, l’ex-mari de Sonja, est d’emblée antipathique au lecteur. Lui aussi est l’objet d’une investigation du procureur spécial chargé d’enquêter sur la criminalité financière. Pour autant, il fait un père acceptable même si Tómas attend avec fébrilité les weekends avec sa mère.
Un des atouts de Piégée réside aussi dans ces détails qui émaillent le récit. Ainsi, la voisine de Sonja qui la harcèle quasiment en lui demandant à tout bout de champ de jeter un coup d’œil sur son PC qui bordélise.
Un premier volet prometteur, une lecture très addictive. Je reviendrai, cela va de soi, vous parler des deux autres, Le filet et La cage. Car je n’ai qu’une envie, celle de savoir comment Sonja va pouvoir se dépêtrer des très sales draps dans lesquels elle s’est mise.
Quatrième de couverture
Sonja a été contrainte de devenir passeuse de cocaïne pour retrouver la garde de son petit garçon. Elle doit jouer au chat et à la souris avec des narcotrafiquants féroces, un ex-mari pervers, un avocat ambigu, une compagne envahissante.
Elle doit se montrer de plus en plus inventive, de plus en plus audacieuse. Elle doit sortir du piège dans lequel elle s’est laissé enfermer. Seule certitude, Tómas son petit garçon, lui, ne vit que pour ses week-ends avec elle.
Il y a aussi, à l’aéroport de Keflavík, Bragi, le vieux douanier, très intrigué par cette jeune femme élégante et décidée qui traverse régulièrement les salles d’embarquement.
Entre malversations et trafic de drogue, Piégée est un thriller original et brillant, mêlant une intrigue pleine de suspense, des personnages attachants et une description fantastique de la capitale de l’Islande pendant l’hiver 2010-2011, couverte de cendres et sous le choc du krach financier.
Piégée
Titre original : Gildran
Reykjavík noir
La trilogie, T.1
Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün
Éditions Métailié (mars 2017)
Éditions Points (8 mars 2018)