L'appétit de la destruction - Yvan Robin (Éditions Lajouanie 2019)

En octobre 2105, Yvan Robin publiait aux Éditions Lajouanie son roman Travailler tue (http://jackisbackagain.over-blog.com/2016/01/travailler-tue-yvan-robin.html). Dans ma chronique, je disais avoir découvert un grand écrivain. Aujourd’hui, je vous dis, ne passez pas à côté, Yvan Robin est un immense écrivain et son nouveau roman est exceptionnel. Que vous aimiez ou non le rock n’a aucune importance. C’est le propre des grands, il aurait écrit un bouquin sur le retour d’âge des hippocampes, je ne doute pas un instant que cela aurait été passionnant.
L’auteur revient donc avec L’appétit de la destruction, toujours aux Éditions Lajouanie. On peut parler de grand écart ; entre le monde du travail et le monde du rock, aucun dénominateur commun. Encore que s’il s’agit de détruire un homme, le rock fait au moins aussi bien qu’un directeur d’entreprise. Yvan Robin nous raconte l’histoire d’un groupe de rock, Âme less, emmené par son charismatique leader et chanteur, Adrien Leveneur. Une voix identifiable dès la première mesure. Les autres membres sont Pierre Leveneur, le frère d’Adrien et batteur, Jan Osbeck, guitare basse et Nina Mélina, guitariste surdouée.
Il y a très longtemps mais alors vraiment très longtemps qu’un livre ne m’avait touché à ce point. Pourtant, je n’ai pas aimé tout ce qui est écrit et décrit dans le roman. Mais c’est écrit avec tant de justesse que l’émotion m’a pris en traître plus d’une fois. L’auteur nous raconte davantage les coulisses que la scène, l’envers et l’enfer du décor. Quand les rampes de spots s’éteignent et que les instruments se taisent, quand les gens quittent la salle de concert pour rentrer chez eux, alors commence une autre vie pour les membres du groupe, un temps pour décompresser. Sexe, drogues, alcools et abus en tous genres.
Le focus est fait sur Adrien, c’est lui qui compose les textes et les chante. Dès le départ, on sent chez lui un mélange de lucidité et de fragilité, une sorte de résignation aussi ; même si Adrien ne l’exprime jamais, son frère Pierre, le batteur, est son point d’ancrage, sa pierre angulaire. Par sa seule présence, il lui apporte la sécurité et l’aplomb nécessaire pour enchaîner les live. Pierre est là, rien de grave et fâcheux ne peut arriver. Le frère est là. Assis derrière ses fûts et ses cymbales, c’est lui qui donne le tempo, garde le rythme, il assure et rassure.
Comment garder le contrôle quand la vie devient frénésie ? Comment assumer un succès toujours grandissant ? Personne n’est préparé à devenir du jour au lendemain une icône vivante, une idole. Un train de vie démesuré, des excès quotidiens, des comportements abjects car sous influence, l’amnésie partielle ou totale les lendemains. Et ça recommence, soir après soir, salle après salle, hôtel après hôtel, ville après ville. Adrien, la star d’Âme less, a un assistant personnel à sa disposition. Un titre ronflant pour désigner un homme à tout faire payé par le label pour le surveiller, l’assister au quotidien, mettre les mains où on lui interdit de mettre les siennes. Veiller à ce qu’Adrien ne manque de rien, en ce compris quelques grammes de coke dans une enveloppe kraft pliée en quatre, une poignée de Valium dans un sachet de plastique transparent, le tube de rouge de sa groupie.
Ce qui m’a frappé et ému dès les premières pages, c’est que le destin d’Adrien est scellé et il semble être le seul à s’en rendre compte. Au travers des textes qu’il compose, il ne faut pas être grand clerc pour deviner l’amorce de la déchéance, cet appétit de la destruction. Soir après soir, il chante son désarroi et sa détresse devant une foule en liesse et qui l’acclame à tout rompre. Là est tout le paradoxe : il nous dit qu’il va mal et le public l’applaudit.
Les textes imaginés par l’auteur et chantés par Adrien ont la beauté du désespoir. Ils clament ses fêlures, la perte d’estime de soi, la vacuité de l’existence. Il aurait pu chanter ces vers que sa solitude m’a inspirés.
Le cœur au bord des lèvres
Des larmes pleins les yeux
Tout proche de ces ténèbres
Qui m’appellent de leurs vœux
J’en termine avec cette chronique en espérant qu’elle vous aura donné l’envie de le lire, ce roman. Voici quelques propos tenus par Adrien qui illustrent bien, me semble-t-il, sa démesure et sa lucidité.
« …Le plaisir s’éloignant à mesure que je progressais, il me fallait chaque jour me perdre un peu plus loin pour tenter de le rattraper. Le frôler, le manquer. Vivant les sensations les unes après les autres sans jamais questionner mes actes, j’ai cherché l’apaisement dans la destruction. J’ai ravagé les chambres d’hôtel luxueuses où je suis passé. J’ai arraché les appliques murales, bouché les baignoires, explosé les téléviseurs, brisé les miroirs de salle de bains à grands coups de tête. Dans une sorte de rage impossible à canaliser. J’en retire plus de honte que de fierté… »
A la fin de l’ouvrage, le lecteur a le bonheur de retrouver les carnets d’Adrien, un recueil reprenant les textes de ses compositions.
Quatrième de couverture
L'Appétit de la destruction relate les dernières heures d'un groupe de rock (Âme less), les frasques de son leader, les coulisses d'un milieu qui suscite bien des fantasmes. On pense évidemment à Bertrand Cantat (Noir Désir), à Nicolas Sirkis (Indochine) mais aussi aux Rolling Stones, aux Clash, aux Sex Pistols, à Nirvana... à toutes ces formations géniales menées tambour battant par des rockstars déjantées, s'autorisant tous les abus.
Une fiction parfois trash, passionnante, qui mêle tragique, transgression, disparition... Du rock donc, des excès, du sexe... Bref de la littérature. Pas un polar mais presque...
L’appétit de la destruction
Yvan Robin
Éditions Lajouanie 2019