De bonnes raisons de mourir – Morgan Audic – Éditions Albin Michel (2 mai 2019)
Le bandeau de couverture donne le ton : Le nouveau prodige du thriller français. Ce genre d’annonce quelque peu racoleuse supposée déclencher la fièvre acheteuse exerce en général chez moi l’effet inverse : je me méfie et j’attends que cela se tasse. Le terme prodige est de toute façon excessif mais Morgan Audic signe avec ce titre un thriller épatant.
De bonnes raisons de mourir est le deuxième roman de l’auteur après Trop de morts au pays des merveilles paru aux éditions du Rouergue en avril 2016. Il n’y a aucun lien entre les deux. Je n’ai pas lu le deuxième cité et je vous recommande chaudement la lecture du premier, pour l’intrigue mais surtout pour cette immersion effarante et didactique dans ce qui était encore l’URSS au moment de l’accident nucléaire de Tchernobyl. Aujourd’hui, l’Ukraine et la Russie entretiennent des rapports sous haute tension avec en toile de fond l’annexion de la Crimée par la Russie et la guerre qui fait rage dans le Donbass. C’est de tout cela dont il est question dans ce formidable thriller.
De bonnes raisons de mourir nous plonge dans la Russie après le 26 avril 1986 et l’explosion de la centrale de Tchernobyl. Y a-t-il un décor plus propice à l’exploitation du crime que cet immense territoire dévasté, déserté, irradié ? Non. Par crime, je n’entends pas simplement meurtre ou assassinat, je parle de toutes les sortes de trafics qui ont cours encore aujourd’hui, je parle de la corruption féroce, je parle des pillages, je parle de tous ces salauds qui se sont bâti une véritable fortune en profitant du marasme et du chaos provoqués par l’explosion du réacteur n°4. Et ça continue aujourd’hui encore.
Mais effectivement, c’est bien sur une scène de meurtre que s’ouvre De bonnes raisons de mourir. Un meurtre à la scénographie sophistiquée. Un homme aux lèvres et paupières cousues suspendu par des câbles à la façade d’un immeuble délabré de Pripiat, ville fantôme située à une encablure de Tchernobyl. Personne n’habite plus à Pripiat mais cela ne veut pas dire que plus personne n’y vient. Des tours opérateurs proposent au prix fort des visites de la zone contaminée, on y célèbre les enterrements de vie de garçon, il y a toujours une bonne raison de venir faire la fête à Pripiat.
La victime est un Russe, Léonid Vektorovitch Sokolov, le fils de Vektor Sokolov, un oligarque russe, homme de pouvoir à l’influence considérable. Moscovite, Sokolov n’a aucune confiance dans les enquêteurs ukrainiens. Il charge officieusement Alexandre Rybalko, un policier métis, un cul noir, qui est né à Pripiat de retrouver l’assassin de son fils et de le buter, ce sont ses mots. En échange, il lui promet une forte somme d’argent qui permettra à Rybalko de faire opérer sa fille Tassia, quasiment sourde. Rybalko est un vétéran de Tchétchénie. Là-bas, il a vu faire et commis lui-même des atrocités dont il portera le poids jusqu’à sa mort. Le couple qu’il forme avec Marina dont est née Tassia a volé en éclats depuis quelques temps déjà.
L’enquête officielle est confiée à un duo de policiers composé de Galina Novak, fraîchement sortie de l’école de police et de Joseph Melnyk, un policier chevronné. Melnyk se demande ce que la jeune femme a bien pu faire comme connerie pour être ainsi balancée dans une zone radioactive pour sa première affectation. Lui non plus n’a pas eu le choix. Sept ans plus tôt, il avait témoigné contre son supérieur qui rackettait une partie des salles de jeu en échange de sa « protection ». Seul à oser témoigner, l’enquête avait été enterrée et Melnyk prié d’aller exercer ses talents du côté de Tchernobyl.
Melnyk connaît lui aussi une relation difficile avec son épouse Tatiana ; il vit une bonne partie de l’année à Tchernobyl dans un logement de fonction prêté par l’État. Depuis sa mutation, son épouse ne le laisse plus la toucher, il doit laisser ses vêtements et ses chaussures sur le seuil de la porte de leur appartement, prendre des douches interminables. Melnyk en est d’autant plus affecté qu’il aime profondément sa femme. Fondamentalement, elle lui reproche d’avoir placé son idéal avant le confort familial. Évidemment qu’ils n’en seraient pas là s’il avait renoncé à dénoncer son supérieur. Ils n’ont même pas assez d’argent pour pouvoir acheter un gilet pare-balles à leur fils qui s’est engagé pour aller combattre les Russes dans le Donbass.
C’est une enquête particulièrement ardue et périlleuse pour les enquêteurs Novak/Melnyk et le franc-tireur Rybalko. Très tôt dans le livre, Melnyk reçoit une information capitale. En 1986, le 26 avril, la nuit de la tragédie, une femme a été assassinée à Zalissiya, un village minuscule à un jet de pierre de Tchernobyl. Elle s’appelait Olga Sokolov, elle était la mère de Léonid et la femme de Vektor Sokolov. Le corps d’une autre femme gisait non loin d’elle. Dans le chaos provoqué par l’explosion de la centrale, l’enquête de police pourtant diligentée par Vektor Sokolov lui-même, à l’époque premier secrétaire du Comité de la ville de Pripiat, n’a rien donné. La coïncidence ne peut évidemment en être une. Mère et fils suppliciés à trente ans d’intervalle au même endroit, quelqu’un doit forcément régler ses comptes.
Morgan Audic a réalisé un travail de documentation remarquable dont étrangement je ne retrouve aucune référence à la fin de l’ouvrage. Une documentation qu’il intègre habilement dans sa fiction. On apprend une foule de choses sans jamais perdre de vue l’enquête proprement dite. C’est une limpidité appréciable dès lors que la traque s’étend sur près de cinq cents pages.
Qui peut parler le mieux de son roman si ce n’est son auteur ? Je vous propose de lire l’interview « 1 livres en 5 questions » réalisée par Yvan du blog Emotions. Un entretien absolument passionnant de l’auteur qui nous parle à bâtons rompus de la genèse de son roman et des défis rencontrés pendant le travail d’écriture. Voici le lien : https://gruznamur.com/2019/05/09/interview-1-livre-en-5-questions-de-bonnes-raisons-de-mourir-morgan-audic/
Quatrième de couverture
Un cadavre atrocement mutilé suspendu à la façade d'un bâtiment. Une ancienne ville soviétique envoûtante et terrifiante. Deux enquêteurs, aux motivations divergentes, face à un tueur fou qui signe ses crimes d'une hirondelle empaillée. Et l'ombre d'un double meurtre perpétré en 1986, la nuit où la centrale de Tchernobyl a explosé...
De bonnes raisons de mourir
Morgan Audic
Éditions Albin Michel (2 mai 2019)