No problemo – Emmanuel Varle (Éditions Lajouanie 2019)

Avant de commencer ce polar, vérifiez votre agenda. Si vous avez quelque chose de prévu, annulez car dès les premières lignes, vous êtes ferrés et condamnés à aller jusqu’au bout. Il y a des condamnations pires que celle-là ! Ce livre est impossible à lâcher. Le duo de branquignols José/Romuald est irrésistible mais pourquoi ? Romuald a pile-poil 20 ans. Paumé, en quête d’affection, d’approbation et d’écoute, il rencontre José dans un Lavomatic. José, c’est un autre calibre, incarcéré à trois reprises pour des cambriolages et un vol avec violence, il n’a plus rien d’une gueule d’ange. C’est José qui propose à Romuald un casse qui doit leur permettre de quitter définitivement la France avec un matelas confortable. Romuald, qui n’entretient plus aucune illusion, est d’accord sur le champ.
Le casse, c’est celui d’une belle demeure isolée dans laquelle son propriétaire, un écrivain célèbre et riche, vient se ressourcer et trouver l’inspiration pour son nouveau roman. Nom de plume : James Blisdane. Située à 350 kilomètres de la capitale, en pleine nature, à l’abri des regards, la maison de l’écrivain est une cible parfaite et facile.
Ce que José a tu à Romuald, c’est qu’il connaît cette propriété sur le bout des doigts puisqu’il y a passé une partie de son enfance, ses parents travaillant comme domestiques pour James Blisdane. Mal traités, méprisés, virés comme des malpropres pour des fautes imaginaires, ses parents avaient dû quitter sur le champ le modeste pavillon qu’ils occupaient dans l’immense propriété et emménager dans une barre d’immeubles en banlieue. S’en sont suivis la dépression de la mère, l’alcoolisme du père, les coups, le divorce. Et la haine de José à l’égard de Blisdane a enflé jour après jour, une lame de fond redoutable que José a de plus en plus de mal à contenir.
Ce roman noir séduit par ses personnages. Romuald souffre de n’être rien, de n’avoir jamais rien été. José lui a offert sans doute le cadeau le plus précieux : l’amitié. Au nom de celle-ci, il est prêt à toutes les mésaventures même s’il angoisse à l’idée d’aller braquer un écrivain, fût-il riche. José, lui, a l’amitié un peu plus ambiguë ; Il éprouve une fascination physique pour Romuald et son corps d’éphèbe. Sûr qu’après le casse, il pourra filer le parfait amour avec son complice.
Si tout se passait bien, il n’y aurait pas de roman et effectivement tout ne se passe pas comme planifié par José. Ils ont pourtant répété leur forfait jusqu’à l’obsession. Enfin, José plus que Romuald, trop immature pour se concentrer longtemps sur le sujet. A bien y réfléchir, le lecteur se dit que le plan présente quand même pas mal d’inconnues et d’approximations. José a beau rassurer Romuald en lui répétant inlassablement, No problemo, tout va bien se passer, il éprouve lui-même comme un doute.
Le lecteur est plongé dans une drôle de tambouille. Il suit, non sans sourire, les préparatifs du duo de pieds nickelés. Et ils y mettent du cœur, les bougres. Comment ne pas éprouver de tendresse pour ces deux éclopés de la vie ? La chance ne peut-elle leur sourire, pour une fois ? Il est vrai que ce sont souvent les riches qui gagnent à la loterie.
Et puis vient le casse et avec lui la casse. Le lecteur n’est pas vraiment prêt à encaisser le scénario. En une fraction de seconde, tout bascule. Du rire aux larmes, de la farce au tragique. Le lecteur qui s’est pris d’une sincère affection pour José et Romuald est en état de choc. Obligé de revoir son jugement à la vitesse de la lumière, le lecteur ne peut guère qu’assister, triste et médusé, à l’enchaînement des événements.
No problemo pourrait être un fait divers, un entrefilet dans un canard local, Emmanuel Varle en a fait un authentique roman noir. Le lecteur côtoie des personnages de tous bords, certains sont attachants, d’autres agacent ou inspirent carrément l’antipathie mais tous sont campés avec une étonnante justesse, l’auteur n’en a négligé aucun.
Si No problemo se lit vite, il laisse aussi un drôle de goût en bouche, un goût amer. Romuald et José n’ont pas réussi surmonter les douleurs et les manques d’une enfance brutale et difficile. José a cristallisé toute sa haine, toutes ses frustrations sur les épaules de Blisdane ; quant à Romuald, il rend les flics responsables de la noyade de son frère, dix-huit ans. Des êtres aussi blessés que nos deux héros sont incapables de faire face à la situation de stress qu’ils ont eux-mêmes projetée et créée.
No problemo pose aussi subtilement la question de la responsabilité. Emmanuel Varle nous rend José et Romuald éminemment sympathiques ; deux paumés qui jusque là n’ont objectivement rien commis d’irréparable. En réalité, l’un comme l’autre sont des bombes à retardement et ils n’en ont eux-mêmes pas conscience. Ils sont dangereux parce qu’ils ne sont pas maîtres d’eux-mêmes et de leurs réactions. Leur responsabilité est entière mais le lecteur ne peut s’empêcher de penser : « Quel gâchis ! »
L’avis de Pierre sur son blog https://blacknovel1.wordpress.com/2019/09/11/no-problemo-demmanuel-varle/ vaut la peine d’être lu car il offre un autre point de vue et il est toujours pertinent de les confronter.
Quatrième de couverture
No problemo, répète-t-il sans cesse. C’est un plan simple, un coup facile, je te jure ! promet-il à son comparse, un délinquant sans envergure. Ce que la tête pensante de ce duo tait, c’est que la demeure de l’écrivain qu’ils s’apprêtent à rançonner est celle dans laquelle il a passé son enfance. Les souvenirs de ces années d’enfer vont troubler le bon déroulement d’un saucissonnage qui s’annonçait si facile ! La cavale qui en découle s’annonce pour le moins chaotique.
No problemo
Emmanuel Varle
Éditions Lajouanie (mai 2019)