Canicule – Jane Harper (Le Livre de Poche 2018)
La trajectoire des livres a quelque chose d’amusant et de totalement aléatoire. Je n’aurais peut-être jamais lu ce polar très costaud sans lire l’avis de Jeanne Desaubry qui, elle-même, l’avait noté alors qu’elle patientait dans une salle d’attente et feuilletait la rubrique littéraire d’un magazine quelconque.
Aaron Falk, 36 ans, est policier à Melbourne, il s’occupe de la criminalité en col blanc. Pour l’heure, il est de retour à Kiewarra, petite ville du sud-est de l’Australie écrasée par la chaleur. C’est là qu’il est né, qu’il a grandi avant d’être contraint, adolescent, de quitter la vile en catastrophe avec son père. Il n’y est jamais revenu jusqu’à ce jour et ce n’est pas par nostalgie qu’il se tape les cinq heures de route depuis Melbourne. Non, il revient pour assister aux funérailles de Luke, son ami de toujours. Les circonstances sont dramatiques. Luke Adler a assassiné à coups de fusil son épouse, Karen, leur fils Billy, 6 ans, avant de se faire sauter le caisson. Seule la petite Charlotte, quelques mois, a échappé au massacre. Et puis, il y a cette lettre reçue deux jours plus tôt dans son bureau à Melbourne, une lettre de Gerry Adler, le père de Luke. Y sont mentionnés dix mots : Luke a menti, Tu as menti. Sois présent aux funérailles.
Quand il pose son pied dans la poussière de Kiewarra, Aaron Falk se donne dix-huit heures top chrono avant de repartir pour Melbourne. Mais l’endroit où on est né et où on a grandi peut constituer le pire des pièges. Vingt ans se sont écoulés, rien n’a changé et pourtant tout est différent. Le changement le plus notable, c’est évidemment Aaron lui-même. Parti comme un paria, il revient avec un badge d’agent fédéral. Mais les gens n’oublient pas, les gens ont la dent dure.
Pour ces êtres frustes, Aaron a joué un rôle dans la mort d’Ellie Deacon, une adolescente, retrouvée noyée. C’était quand Ellie, Gretchen, Luke et lui formaient le club des quatre. Inséparables, ils faisaient les quatre cents coups ensemble, le bush était leur terrain de jeu. Des quatre, seuls subsistent Aaron et Gretchen. Les gens ont aussi pensé que Luke pouvait être impliqué dans la mort de l’adolescente mais Luke est mort et on n’accuse pas un mort, pas à haute voix tout au moins. Vous comprenez mieux pourquoi Aaron n’est pas enthousiaste à la perspective de revenir au pays.
D’autant que les parents Adler, Gerry et Barb, ne sont pas convaincus que leur fils ait pu commettre une telle folie. C’est à contrecœur et devant leur insistance qu’Aaron accepte, au nom de l’amitié qui l’unissait à Luke, de passer quelques jours sur place. Le temps d’examiner la comptabilité de la ferme et d’exclure que des dettes aient pu conduire au drame. Il va proposer son aide temporaire au flic local, Raco.
Ce qui est totalement séduisant dans ce polar, c’est la fluidité du récit et le cadre dans lequel l’auteure installe ses personnages. Le sud-est australien dont on parle tant aujourd’hui n’était pas la proie des incendies effarants tels que nous pouvons les observer aujourd’hui. Mais une sécheresse implacable sculptait déjà les bêtes et les âmes. La rivière qui serpentait rieuse et bondissait de roche en roche est à sec. Un bétail émacié, des fermiers aux abois, angoissés. Sans jeu de mot aucun, les esprits sont prompts à s’enflammer, à trouver un exutoire.
L’ingéniosité de l’auteure est de faire peser tout le poids de l’intrigue sur les épaules d’Aaron Falk, personnage controversé et même haï par certains. Les gens s’accrochent à ce qu’ils peuvent. Passé le premier moment de stupeur, les habitants ont pu s’accommoder du coup de folie de Luke. Ils ont intégré cette tragédie dans leurs circuits mentaux. En revanche, ce qu’ils ne peuvent en aucun cas concevoir est le fait qu’Aaron Falk puisse découvrir que quelqu’un, autre que Luke, ait perpétré cette boucherie.
C’est dans ce contexte délétère qu’Aaron Falk, officieusement et Raco, officiellement, vont reprendre l’enquête depuis le début, point par point. Ils s’apprécient, ce qui est loin d’être négligeable quand vous revisitez une enquête pour meurtre aussi sensible.
L’auteure sait ce que veut dire le mot tension. Elle est tangible dès les premières pages, baisse parfois d’un cran pour laisser le lecteur souffler, elle est insoutenable à d’autres moments. J’ai été complètement sous emprise.
Extrait du prologue
Le cadavre de la clairière était le plus frais. Il fallut un peu plus de temps aux mouches pour découvrir les deux autres, à l’intérieur du corps de ferme, alors même que la porte d’entrée battait comme une invite. Celles qui s’aventurèrent après la trouvaille initiale, dans le couloir, furent récompensées par l’autre, dans la chambre à coucher cette fois. Celle-ci était plus petite, mais la concurrence était moindre.
Arrivées les premières sur les lieux, les mouches grouillaient joyeusement dans la touffeur tandis que le sang s’écoulait en flaques noires sur les tomettes et le tapis.
Dehors, le linge pendait immobile sur sa corde, desséché et raidi par le soleil. Un tricycle d’enfant gisait, abandonné, sur le chemin dallé menant à la maison. Seul un cœur humain battait encore dans un rayon de un kilomètre alentour. C’est pourquoi il n’y eut aucune réaction quand au fond de la demeure, le bébé se mit à pleurer.
Jane Harper est née en 1980 à Manchester, Angleterre. A l’âge de huit ans, sa famille quitte l’Angleterre pour Melbourne où elle obtiendra la nationalité australienne. Plus tard, Jane revient en Angleterre où elle étudie l’anglais et l’histoire à l’université du Kent à Canterbury. Elle travaille ensuite comme journalise au Royaume-Uni et en Australie. Dès 2014, elle se consacre à l’écriture, elle a vingt-quatre ans. Canicule est récompensé, entre autres prix, par le Gold Dagger Award 2017, prix littéraire britannique décerné annuellement au meilleur roman policier de l’année par la Crime Writers’ Association, une association d’écrivains de romans policiers.
Jeanne m’ayant fait découvrir Jane, je vous renvoie à sa chronique de Canicule : http://jeanne.desaubry.over-blog.com/2019/11/jane-harper-1.html.
Canicule
Jane Harper
Titre original : The Dry
Traduit de l’anglais (Australie) par Renaud Bombard
Le Livre de Poche (2018)