Joueuse – Benoît Philippon – Éditions EquinoX Les Arènes 2020

Publié le par Jean Dewilde

 

Si le nom de l’auteur ne vous dit rien, vous connaissez sans doute Mamie Luger, son roman précédent, également paru aux éditions EquinoX Les Arènes. Si Mamie Luger ne vous dit rien, alors, il est grand temps de faire sa connaissance, d’autant que Mamie Luger sort en poche en ce mois de mars 2020.

Le premier et excellent roman de l’auteur, Cabossé, j’en avais écrit la chronique : http://jackisbackagain.over-blog.com/2017/04/cabosse-benoit-philippon.html.

Manifestement, Benoît Philippon adore les histoires de cavale, de road movies. Il aime mettre en scène des personnages en danger et dévastés, Roy et Guillemette dans Cabossé, Berthe, centenaire, féministe et serial killeuse dans Mamie Luger et Maxine, Zack, Baloo et Jean dans Joueuse, son nouveau roman, tantôt drôle et tendre, tantôt sombre et poignant.

Car il ne faut pas s’y tromper, si le ton est désinvolte, léger, la frontière avec le drame n’est jamais loin, drames déjà joués ou à venir. L’auteur nous invite à plonger dans le monde quasi exclusivement masculin du jeu. Pas n’importe lequel, on parle ici du jeu-roi, le poker. Et ce n’est pas dans les casinos qu’il nous convie mais dans les endroits les plus improbables. Les plus dangereux aussi, là où n’exerce aucun chef de table. Tables dressées la nuit sur les aires d’autoroutes entre deux rangées de poids lourds, arrière-salles, salons privés, entrepôts désaffectés, et j’en passe de plus insolites.

Maxine est une joueuse professionnelle, elle ne pratique que le poker. Il lui faut sa partie quotidienne, l’équivalent d’une ligne de coke pour un toxicomane. Sous peine de voir débarquer la déprime et sa petite sœur l’angoisse. Alors, elle joue, autant qu’elle peut, dans les endroits les plus sordides, peu importe la faune. Maxine remporte presque toujours la mise. Normal, elle a appris des plus grands, ou plutôt des pires. Pour assurer ses arrières, elle ne sort jamais sans son .45 au fond de son sac.

Très tôt dans le livre, Maxine confie au lecteur qu’elle a une mission, une mission qu’elle redoute. Toutes ces parties qu’elle joue ont en réalité un seul et même but : préparer et retarder la dernière. L’argent est un bénéfice collatéral de sa croisade. Elle inflige en réalité ses punitions dans un but cathartique. Elle humilie les hommes pour se purifier. Par cette vengeance, elle cautérise ses plaies. Certaines blessures ne se voient pas, elles n’en sont pas moins douloureuses. Et profondes. Bien au contraire. Maxine soigne son mal par le jeu. C’est sa thérapie à elle.

Dans le cercle très fermé du jeu, fût-il clandestin et dissimulé, les rumeurs vont bon train. Maxine a entendu parler d’un joueur d’exception qui se fait appeler Zack. Solide réputation, beau palmarès et toujours vivant. Le genre de profil qui suscite son intérêt.

Parler de Zack sans évoquer Baloo, c’est vouloir séparer les deux têtes d’une hydre. Ces deux-là sont tout bonnement inséparables et cela a commencé sur les bancs de l’école. Quand Baloo l’a rencontré, le petit Blanc format crevette se prenait des dérouillées à la récré par les mini-caïds. Déjà massif, Baloo, que l’injustice a toujours révolté, s’est interposé. En échange de cette protection bienvenue, et histoire de faire de son ange gardien son partenaire, Zack lui a appris le poker. Il lui a enseigné les ficelles de la manipulation par le bluff qu’il tenait lui-même de son filou de père.

Baloo, colosse noir aux nerfs fragiles et Zack, le mentor et manipulateur hors pair écument la France du nord au sud. Quand ils disputent une partie de poker, ils ne se connaissent pas, ce qui les rend encore plus redoutables, plus féroces et plus invulnérables. Mais après le stress euphorique d’une arnaque, l’un et l’autre adoptent des comportements étranges, singuliers.

A chacun son rituel. Zack a besoin de se perdre dans une relation sexuelle sans sentiments, souvent brutale qu’il regrette aussitôt. Baloo, lui, arpente les rues et les abords des boîtes de nuit où il sait que des jeunes filles pourraient être la proie de prédateurs sexuels. Il ne supporte pas que des connards qui ont le feu au calbut se servent sans demander la permission. Alors, il leur explique à sa façon quitte à en envoyer l’un ou l’autre à l’hosto. Il a le sentiment que son action est d’intérêt public.

Le trio Maxine, Zack et Baloo deviendra un quatuor quand Maxine prendra sous son aile protectrice Jean, un garçon de sept ans, sacré petit bonhomme.

Maxine a réussi à rallier Zack et donc forcément Baloo à sa cause, une cause qui tient en une partie de poker mais pas n’importe laquelle...

Une fois encore, Benoît Philippon nous offre un texte d’une immense originalité. L’intrigue est simple à l’inverse des personnages torturés qui transcendent le roman. S’ils se montrent implacables et impassibles au poker, ils sont d’une fragilité désarmante et parfois même alarmante en dehors des tables de jeu. L’auteur aime composer et donner vie à des personnages perclus de solitude, que la vie a esquintés jusqu’à la lisière de la folie. Des personnages souvent bousillés par la violence et la brutalité de ceux censés veiller sur eux et les protéger. En les faisant se croiser, l’auteur leur donne l’opportunité de changer le cours de leur vie. Pour le meilleur et pour le pire.

Enfin, l’écriture est fluide, radieuse et réjouissante comme en témoignent ces quatre lignes :

Quelques départementales plus au sud, dans un village perdu où l’unique panneau de circulation indique Toutes directions tant on est ici nulle part et qu’on ne peut se rendre qu’ailleurs, subsiste un irréductible commerce, un PMU qui sent la désillusion et le tabac froid.

 

Joueuse

Benoît Philippon

Éditions EquinoX Les Arènes 2020

Publié dans Le noir français

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