Tu entreras dans le silence – Maurice Gouiran – Éditions Jigal 2020.

Publié le par Jean Dewilde

 

Avec ce titre, Maurice Gouiran publie son trentième roman. Pour celles et ceux qui n’ont encore rien lu de l’auteur, ce trentième opus peut être une excellente porte d’entrée dans son univers. Un univers sans limite puisque l’auteur puise toujours dans l’Histoire pour nous raconter des histoires. Et ces histoires, elles se passent aussi bien au Moyen âge que durant la Grande guerre, en Argentine ou dans les Balkans, le terrain de jeu n’est pas tracé à la chaux. Inlassablement, Maurice Gouiran raconte. Il sait se saisir d’épisodes peu ou mal connus de l’Histoire – quand ils n’ont pas été volontairement jetés aux oubliettes - pour les porter à notre connaissance au travers d’intrigues toujours soigneusement ficelées. Il va sans dire que les histoires de l’auteur, vous ne les trouverez pas dans les manuels scolaires.

Nous sommes en décembre 1915. Le sénateur Paul Doumer arrive à Petrograd avec une demande pressante au tsar Nicolas II. Des renforts russes en échange de fusils. Il reviendra en France avec la promesse de 44 000 hommes encadrés par 750 officiers. Soit quatre brigades dont la première – celle qui nous intéresse – arrive à Marseille en avril 1916.

Après un périple de trois mois dans des conditions dantesques, nous retrouvons sur les quais de la cité phocéenne quatre soldats russes qui se sont liés d’amitié durant ce voyage interminable. Kolya, le plus charismatique, amoureux de la France et de la langue française, Slava, le fort en gueule, voyou boute-en-train, toujours une histoire à raconter, vécue ou fantasmée, Iouri, le taiseux, dont la présence dans l’armée semble tenir à des motivations personnelles qu’il n’évoque pas et Rotislav, fraîchement fiancé, appelé sous les drapeaux le jour de ses vingt ans.

Accueillis comme des héros par les Marseillais avant même d’avoir combattu, ils n’auront guère le loisir de goûter à la douceur méditerranéenne. L’objectif est de les former le plus rapidement possible pour qu’ils puissent rejoindre le front de Champagne. En s’attachant au destin particulier de ces quatre soldats, l’auteur personnalise cette guerre horrible. En les plaquant au fond des tranchées, il nous fait vivre la terreur qu’ils éprouvent en permanence. On meurt beaucoup plus qu’on ne se bat. La tension est insupportable, il y a le bruit, les odeurs, la promiscuité. A quoi pensaient ces jeunes gens, piégés comme des rats ? Du temps pour penser, ils en avaient à revendre mais pour penser à quoi ? A moins que la peur et la panique annihilent précisément l’épicentre de la pensée ?

Ainsi s’exprime Kolya :

Pour la première fois de ma vie, je me suis rapidement retrouvé face à un obstacle insurmontable : ce que nous avons vécu, ce que nous risquons de vivre de nouveau, est indescriptible. Les mots pour le raconter n’existent dans aucune langue. Alors qui d’autre que nous pourrait interpréter ces fragments d’expressions sans queue ni tête ?

Je ne la connais pas par cœur, la diabolique complainte déclinée chaque soir, lorsque les tirs cessaient, sur les pages jaunies et cornées de mon carnet. Je n’en ai retenu que des bribes. C’est ce qu’il en restera. Les longues et belles tirades, soigneusement rédigées et agencées n’ont pas de place ici. C’est comme si le récit de notre histoire avait été, lui aussi, déchiqueté par un shrapnel et qu’il n’en subsistait que des éclats accrochés aux barbelés…

Ont-ils pris conscience qu’ils étaient victimes d’un odieux marchandage ? Des fusils contre des hommes. De la chair contre du plomb. Savaient-ils que le Tsar Nicolas II était le cousin germain de l’empereur allemand Guillaume II, que cette guerre était aussi un conflit somme toute familial ?

Dans des circonstances que je ne vous dévoile pas, Kolya fait la connaissance d’Antoine Casterdy, fils d’un éminent chirurgien français et gueule cassée. Antoine lui a sauvé la mise et ils ont échangé quelques lettres. En intégrant de manière subtile Antoine dans le récit, l’auteur nous rappelle une autre et tragique réalité de cette guerre : les gueules cassées. Ceux qui étaient tellement défigurés que même leurs proches étaient dans l’incapacité de les reconnaître. Ceux qui, incapables de croiser leur reflet dans un miroir, préféraient se donner la mort.

Pour les conscrits russes de la première brigade, un événement majeur est en train de se produire dans leur pays. Nous sommes à l’automne 1917 et des rumeurs persistantes font état de la chute du tsar Nicolas II. Un événement qui divise profondément, entre partisans du tsar et fervents de la révolution. Une division qui ajoute du malheur au malheur. Dissensions, rébellion, mutinerie, désertions, fusillés. Une autre histoire, une autre guerre, les mêmes horreurs.

Maurice Gouiran signe un roman qui restera dans les mémoires. Il possède cette habileté à tisser des liens, à relier des faits, à rendre accessible  des réalités complexes  sans pour autant simplifier et toujours dans le respect de la vérité historique. Il a cette capacité à créer des personnages qui toujours endossent le juste costume et jouent la bonne partition. Jamais le lecteur ne perd le fil, il peut se concentrer sur l’essentiel, les balises sont placées aux bons endroits. Un artisan de grand talent, un artisan aux désormais trente romans.

Je vous mets le lien vers la chronique de Ludovic Francioli du blog Dora-Suarez. Il a su trouver les mots qui rend la lecture de Tu entreras dans le silence indispensable : https://dora-suarez.com/2020/03/05/tu-entreras-dans-le-silence-maurice-gouiran/

Pour les inconditionnels des quatrièmes de couverture :

   

Avril 1916. Les 11000 hommes de la 1ère Brigade russe débarquent à Marseille où ils seront acclamés avant d'être envoyés sur le front de Champagne et le Chemin des Dames. Kolya, l'anarchiste amoureux de la France, Slava, le meurtrier d'un bourgeois moscovite, Iouri, obsédé par une étrange vengeance, et Rotislav, qui lui n'avait rien demandé, y partagent souffrances, angoisses et espoirs. C'est là que leur parviennent les premiers échos de la révolution russe. S'ensuivent les premières mutineries et la déportation des fauteurs de troubles au camp de la Courtine dans la Creuse. Kolya ne rêve que de filer vers Marseille pour rejoindre la Révolution à Moscou en y entraînant ses frères de combat. Y parviendra-t-il ? Quels impacts laisseront ces années laminées par la barbarie d'une guerre et l'utopie d'une révolution sur ces amis ?

 

Tu entreras dans le silence

Maurice Gouiran

Éditions Jigal (février 2020)

Publié dans Le noir français

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