Haine pour haine – Eva Dolan – Éditions Points (février 2020)

Publié le par Jean Dewilde

 

Après Les chemins de la haine publié aux Éditions Liana Levi (Grand Prix 2018 des lectrices de ELLE dans la catégorie « Policier »), Eva Dolan remet le couvert.

Haine pour haine, également paru aux Éditions Liana Levi et désormais disponible chez Points Policier reprend les thèmes abordés dans Les chemins de la haine. Nous retrouvons aussi le duo d’enquêteurs Melvina Ferreira et Dushan Zigic de la section des crimes de haine.

Pourquoi un deuxième roman sur le même sujet, telle est la question que vous pourriez vous poser comme je l’ai fait. La réponse est presque dans la question. La montée des nationalismes de tout poil coïncide avec une augmentation d’une criminalité effarante parce qu’elle s’exerce sur le seul et unique critère de la race, de la couleur ou de la nationalité. Le fait d’être pakistanais, indien ou somalien, rien que cela, peut faire de vous une cible, vous condamner à mort. Il vous suffit d’être seul au mauvais endroit au moment choisi par une poignée de suprémacistes adeptes du salut hitlérien pour perdre la vie sous les coups et les insultes sans même qu’un mot soit échangé. Une mort pour rien. Une mort écoeurante aux effluves immondes.

Ce n’est évidemment pas le courage qui caractérise les auteurs de ces atrocités. Les victimes sont plutôt frêles, donc faciles à tabasser et à mettre à mort. La revendication se fait par le salut nazi adressé aux caméras de vidéosurveillance, visage masqué bien sûr.

« …Le sergent Ferreira appuya sur l’accélérateur en repensant à la silhouette vêtue de noir tendant le bras vers la caméra. Les doigts de Didi qui continuaient de se contracter, son cerveau déjà mort. Ferreira s’était forcée à regarder toute l’attaque, tressaillant à chaque coup de botte, sentant la bile remonter dans sa gorge tandis que la tête de Didi était silencieusement écrasée, réduite en bouillie… »

Eva Dolan ne ménage ni son lecteur ni ses personnages. A commencer par nos deux enquêteurs obligés d’affronter le pire dans un contexte tendu, voire explosif. Il faut avoir les reins solides et pas mal de lucidité surtout quand la consigne venant d’en haut est de tout mettre en œuvre pour ne pas ébruiter la piste raciste auprès des médias. Mel Ferreira et Dushan Zigic sont eux aussi les produits d’une immigration, portugaise pour elle, serbe pour lui. Ils en connaissent les difficultés et les obstacles.

Mel Ferreira a en elle des racines méridionales qui font son charme et son caractère. La patience n’est pas son fort et elle a une tendance à coller rapidement une étiquette sur les gens auxquels elle a affaire. Côté cœur, elle répondrait probablement que c’est compliqué. Son partenaire, Dushan Zigic, est plus réfléchi mais tout aussi déterminé et opiniâtre. Il est marié, a deux garçons et son épouse ne compte pas s’arrêter là. Deux fortes personnalités à la complémentarité bienvenue et totalement indispensable.

C’est encore la ville de Peterborough qui sert de théâtre au deuxième roman d’Eva Dolan. Cette ville n’a rien de remarquable mais est très représentative : une ville moyenne, deux cent mille habitants, sud de l’Angleterre, différentes communautés, travail au noir, montée de l’extrême-droite.

Polar social ? Sans aucun doute. Comme dans son précédent roman, Eva Dolan s’attaque à bras le corps à l’immigration dans son pays. Une immigration intense qui amène différentes communautés à coexister pour le meilleur rarement, pour le pire plus souvent. Interrogé par Zigic, Jurek, rédacteur en chef du journal polonais local lui confie :

« …

- Je sais qu’il y a des tensions.

- Avec qui ?

- Les Polonais sont farouchement patriotiques, il faut bien comprendre ça.

- Mais ils sont en Angleterre maintenant.

- Oui, et ils ont leurs propres rues ici, et ils ont l’impression d’être chez eux.

Jurek grimaça, comme s’il avait du mal à trouver les bons mots, ce qui était plutôt étonnant pour un homme de sa profession, pensa Zigic.

- Ça m’emmerde vraiment de devoir dire ça.

Zigic attendit, puis les mots sortirent d’un coup de la bouche de Jurek.

- Les Polonais détestent les Indo-Pakistanais qui détestent les Polonais. C’est un choque des cultures. L’islam, le catholicisme. Si on est croyant, impossible de faire la paix. Pas quand on vit aussi près les uns des autres. Les musulmans désapprouvent le fait que des bars polonais ouvrent dans leurs rues, ils nous louent très chers des endroits en mauvais état et après ils détestent qu’on soit leurs voisins… » »

Imaginez dans ce contexte tout l’intérêt pour des partis comme l’English Patriot Party ou l’English National League de voir ces communautés s’affronter. Certains membres de ces partis d’extrême droite sont même prêts à aller beaucoup plus loin.

L’Angleterre a été un eldorado pour les migrants et l’est encore aujourd’hui, au vu de trois éléments : pas de cartes d’identité, ce qui rend les contrôles d’identité impossibles, la langue, beaucoup de migrants proviennent d'anciennes colonies britanniques: Soudan, Irak, Somalie, Pakistan, et beaucoup parlent anglais. Enfin, nombreux sont ceux qui, en rejoignant l’Angleterre, retrouvent une communauté et des réseaux déjà installés.

Tout le talent d’Eva Dolan est d’avoir créé une intrigue suffisamment tordue pour que le duo Ferreira/Zigic s’y perde ou s’y égare. Chez les immigrés, il y a toujours mille et une bonnes raisons de se taire, parler représente rarement un avantage. Loi du silence, faux-semblants, chausse-trappes, mauvaise volonté et mauvaise foi, tout cela forme un écran de fumée dense et compact. Ferreira et Zigic devront le traverser pour atteindre les racines du mal.

Pour anticiper la question, Haine pour haine peut se lire indépendamment du premier opus, ce n’est pas une suite de Les chemins de la haine. Commencez cependant par Les chemins de la haine si vous voulez connaître un peu mieux nos deux enquêteurs.

A noter que le troisième polar d’Eva Dolan Les oubliés de Londres a paru le 6 février 2020, toujours aux Éditions Liana Levi. A noter également que c’est la même traductrice, Lise Garond, qui a traduit les trois volumes. Brillamment.

 

Haine pour haine

Tell No Tales

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Lise Garond

Éditions Points (février 2020)

Publié dans Le noir anglais

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B
J'ai beaucoup aimé le précédent. Celui-ci je ne l'ai pas. Toujours très travaillé tes chroniques. Amitiés
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J
Bonjour Bob,<br /> J'ai oublié de te répondre sur ce coup. Une auteure qui sait où elle va. C'est carré, dur et social mais j'aime ces polars solides qui interpellent. Amitiés. Jean.