Aux armes – Boris Marme – Éditions Liana Levi 2020

Publié le par Jean Dewilde

 

Tout récemment, je vous parlais de Rupture du Britannique Simon Lelic. Dans ce roman, il était question d’une fusillade dans un collège anglais perpétrée par un professeur d’histoire. A partir de ce drame, l’auteur avait exploré avec minutie et brio les différents visages que peut revêtir le harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel. Un sacré bouquin qui était un premier roman.

Je vous parle aujourd’hui d’une fusillade dans un lycée américain au travers d’un premier roman également : Aux armes de Boris Marme. N’en déduisez pas que j’ai une fascination pour ces drames qui se répètent. Simple coïncidence de lecture.

Une tuerie de masse qui fera quatorze victimes dont le tireur. L’auteur a choisi comme personnage central l’officier de police chargé de la sécurité du lycée. Il s’appelle Wayne Chambers, trente-quatre ans. Cela fait huit ans qu’il exerce cette fonction à la satisfaction générale. La plupart du temps, son job consiste à remonter des bretelles, à recadrer et à sanctionner parfois, quand c’est absolument nécessaire.

Une routine qui fait le bonheur de Chambers dont la vie se partage entre le collège et sa mère dépressive avec laquelle il vit. Un homme simple, sans ambition particulière si ce n’est de faire son job du mieux qu’il peut et d’être apprécié pour cela. Une vie sans heurt, une existence réglée comme du papier à musique et une passion, les trains électriques miniatures. Une passion héritée de son père, policier lui aussi et décédé d’une crise cardiaque.

Ce matin-là, comme tous les autres matins, Wayne pousse la porte du Marlon Park Cafe, commande comme d’habitude un grand café et un bagel à emporter, échange les mêmes mais essentielles banalités avec Dorothy, la serveuse avant de monter dans sa Ford et de rejoindre le lycée Barbara J. Haskins. Wayne Chambers ne le sait pas encore mais ce matin-là ne sera pas un matin comme les autres, ce sera le pire matin de sa vie et pas seulement de la sienne.

Sa radio se met à grésiller. L’alarme du bâtiment D retentit dans l’air vif. Wayne se précipite, peine à identifier les bruits qui se font entendre là-bas, dans ou en dehors du bâtiment D. Pétards, coups de feu ? Des élèves courent et s’enfuient en hurlant. Le doute n’est plus permis. Il y a un tireur dans le lycée. Wayne connaît la procédure, il enclenche le code red, appelle les renforts.

Dans l’attente, c’est à lui qu’incombe la responsabilité de venir au secours des élèves, il est la seule personne armée et habilitée à faire usage de son arme. Et Wayne ne peut pas, tout son être se refuse à pénétrer dans ce bâtiment D, il a la bouche sèche, les jambes en coton, il transpire abondamment malgré le froid. Il entend les détonations, voit des élèves sortir en détalant, se convainc que le tueur est à leurs trousses, qu’il va sortir lui aussi et qu’il est au meilleur endroit pour lui tirer dessus. Les détonations résonnent avec une sinistre régularité et Wayne n’entre pas, il voudrait entrer mais il n’entre pas, il en est incapable…Tout comme il est incapable d’expliquer son comportement au shérif Atticus arrivé entretemps et qui le presse de questions : a-t-il vu le tireur ? L’a-t-il identifié ? A-t-il fait usage de son arme ? Y a-t-il des victimes ? Aucune réponse ne sort de la bouche de Wayne pour la simple et bonne raison qu’il n’a pas été foutu d’y entrer, dans cette saloperie de bâtiment D.

Quand le shérif comprend que Wayne Chambers, cet officier de police jusqu’ici irréprochable, n’est pas intervenu et n’a rien entrepris pour sauver la vie des lycéens, il n’a d’autre choix que de le suspendre en attendant l’enquête, inévitable. Ce n’est désormais plus qu’une question d’heures pour que les médias apprennent le déroulement des faits tels qu’ils se sont réellement passés. Et le rôle de Chambers ou plutôt ce qu’il n’a pas fait sera très vite mis au jour. Le lynchage médiatique va pouvoir commencer.

Car non seulement Wayne Chambers n’a rien fait pour empêcher le massacre mais il a trahi l’Amérique et les Américains. En se montrant lâche, il prive toute une communauté d’une de ses valeurs fondatrices : l’héroïsme. L’Amérique a besoin de se fabriquer des héros, tout le temps. L’héroïsme donne la possibilité à ceux qui pleurent et qui souffrent de s’accrocher à quelqu’un de plus fort qu’eux, à quelqu’un prêt à se sacrifier, à donner sa vie pour d’autres. Chambers a failli.

Puisqu’on ne peut pas faire de Chambers un héros, on va en faire un coupable, encore plus coupable que le tireur lui-même. Tout le monde s’y met : les médias traditionnels, les réseaux sociaux, les familles des victimes. Sur les plateaux télé se succèdent des experts en tous genres. L’info en boucle et en continu, toujours la même avec parfois un élément nouveau, réel ou inventé de toute pièce. Chambers est acculé chez lui, retranché avec sa mère. Il ne comprend pas l’acharnement dont il est victime, ne voit pas clair en lui-même, il est complètement hagard et perdu. Sa mère, malade, ne quitte pratiquement plus le canapé, les yeux rivés au poste de télévision. C’est l’enfer.

Tirer à boulets rouges sur le policier et son inconcevable couardise a l’avantage de taire les vraies questions. Pour un ado américain, il est sans doute plus difficile d’acheter un magazine porno que de se procurer un fusil d’assaut.

Boris Marme livre un premier roman d’une grande maîtrise. Le thème était casse-gueule. En choisissant de s’intéresser au policier censé protéger les enfants, il a habilement déplacé le curseur ; cette approche révèle à quel point tout le monde est victime, les enfants tués y compris le tireur, le policier, sa mère, les parents des victimes, les frères et sœurs et tous les autres lycéens. Une détresse collective absolue. Personne, absolument personne ne se pose la seule question qui mérite de l’être : Est-il normal que William Pearl ait pu en toute légalité s’acheter un fusil d’assaut ?

En Europe, juste avant le confinement, les gens se ruaient dans les magasins pour faire des provisions de pâtes, de riz et de papier toilette. Pas très malin mais inoffensif. Aux États-Unis, juste avant le confinement, les gens faisaient la queue devant... les armureries. Quelque chose m’échappe.

Quatrième de couverture

Un beau matin à la fin de l’hiver, dans les couloirs d’un établissement scolaire américain, des bruits semblables à des tirs d’arme à feu résonnent subitement. Alerté, l’officier responsable de la surveillance, Wayne Chambers, accourt sur les lieux, mais demeure figé à proximité du bâtiment, derrière la porte où semblent se produire les déflagrations. Tétanisé, il hésite à en franchir le seuil. Doutes sur la provenance des balles? Sur la conduite à tenir? Peur? Quand la fusillade prend fin, il n’est pas entré dans les classes où sont étendus les corps de quatorze jeunes élèves, mais déjà réseaux sociaux et chaînes d’info s’emballent: la machine médiatique affûte ses armes. Une machine au service des voyeurs de l’actualité, des donneurs de leçon et des aspirants justiciers qui entendent s’ériger en tribunal populaire et faire un sort à cet homme que rien ne pouvait préparer à devenir un héros.

 

Aux armes

Boris Marme

Éditions Liana Levi 2020

Publié dans Le noir français

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