Noir côté cour – Jacques Bablon – Éditions Jigal 2020
Avec une belle régularité et pour notre plus grand plaisir, Jacques Bablon poursuit l’écriture de romans noirs en exploitant la thématique des couleurs. Il y a eu le bleu (Trait bleu), le vert (Nu couché sur fond vert), le rouge (Rouge écarlate), le jaune (Jaune soufre – Prix Spécial Dora-Suarez 2019). Aujourd’hui vient le noir avec ce magistral et extraordinaire Noir côté cour. Franz Barthelt n’a-t-il pas dit que pour dépeindre les mœurs, le noir était la bonne couleur ?
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore Jacques Bablon, je pense utile de préciser que ses polars peuvent se lire dans l’ordre ou dans le désordre le plus complet. Aucun personnage récurrent. Vous n’avez pas trop le temps de lire, pas trop de place pour vous encombrer d’un bouquin ? Les histoires concoctées par Maître Bablon excèdent rarement les deux cents pages et ses livres trouvent naturellement une place dans les espaces les plus exigus.
Quand j’ai eu fini de lire la quatrième de couverture de ce Noir côté cour, je me suis demandé – une fois de plus – comment l’auteur allait faire pour amorcer, développer et clore son intrigue en cent soixante-seize pages à peine. C’est évidemment là que l’écrivain intervient avec une habileté stupéfiante et qui me cloue le bec à chaque fois.
J’ai de l’admiration pour le bonhomme. Il a une imagination exceptionnelle qui l’autorise à nous servir des intrigues qu’aucun autre romancier n’aurait pu imaginer, même dans ses délires inventifs les plus fous. Je vous propose cette fameuse quatrième de couverture qui est presque un roman en soi.
Paris. Un immeuble ancien avec une cour pavée. Cinq étages. Fin de semaine calme.
Si ce n’est que… Que la grosse fête au quatrième chez ces trentenaires bien dans leur époque tourne mal.
Qu’au premier, un des deux Lettons de passage dans la capitale a pris un éclat de grenade GLI-F4 dans le dos et saigne comme un bœuf.
Que l’homme du deuxième qui a accueilli une sans-papiers ne rêve que de la baiser.
Que la belle étrangère sait particulièrement bien calmer les ardeurs des hommes qui se croient tout permis.
Que le jeune du cinquième connaît tout des horreurs commises par le salaud du deuxième et qu’il ne va pas en rester là.
Que l’importateur de pistaches qui habite au troisième a pris une balle dans la tête. Mais qui pourrait affirmer que dans ce nid de vipères l’amour ne pourrait pas éclore ?
Admettez-le, vous avez l’envie impérieuse d’entrer dans le vif du sujet. A l’image de cette goutte d’eau dans les premières pages du livre qui se fraye un passage du cinquième jusqu’au rez-de-chaussée grâce à laquelle nous faisons connaissance des différents locataires. De haut en bas, Galien Rivière, Gal, l’appartement appartient à son père, il ne fait rien sinon regarder par la fenêtre et de temps à autre bosse de droite à gauche juste de quoi approvisionner le frigidaire. Juste au-dessous, Dorothéa et Guillermo, les fêtards. Ils vivent une passion dévorante et exclusive. L’exclusivité est proclamée par Dorothéa, Guillermo est à elle, rien qu’à elle. Une femme potentiellement dangereuse. Un cran plus bas, l’importateur de pistaches, le plus discret et le plus furtif des locataires. Poursuivons la descente : au deuxième, Ugo Lighetti, un mec en apparence bien sous pas mal de rapports. Il donne des cours de français dans une association qui s’occupe de migrants. C’est ainsi qu’il rencontre Tasamina, la belle étrangère dont question plus haut et à laquelle il propose de la manière la plus désintéressée possible le gîte et le couvert. Enfin, au premier, logent le temps d’un week-end Jerzy Globsky et Lukas Zukauskas. Deux activistes lettons venus à Paris foutre le bordel à l’occasion d’une manifestation sur la plus belle avenue du monde.
Quel rapport entre tous ces gens ? Aucun ? Pas si sûr. C’est là que l’auteur se met à dérouler le fil, sans à-coups, implacablement. On pourrait parler de destin, voire d’effet papillon. Personne n’est tout à fait innocent, personne n’est tout à fait coupable non plus, quoique. Mais tout le monde paie un prix qui n’est pas forcément proportionnel aux actes commis ou aux actes manqués. C’est dans les interstices que Bablon aime fouiller, dans ces lézardes où les herbes folles prolifèrent et où l’amour et la bonté parfois éclosent. Le pire côtoie souvent le meilleur.
Jacques Bablon exploite toujours les émotions et l’état d’esprit de ses personnages pour avancer ses pions. Car ce sont bien nos états d’âme qui sont le moteur de nos actes. Côté sombre : précarité, frustration, solitude, désœuvrement. Côté clair : légèreté, insouciance, audace, amitié, amour. C’est dans ce terreau fertile et inépuisable que l’auteur puise la matière première de ses romans noirs. En réalité, ses personnages nous parlent de la vie même si certains voient la leur les quitter prématurément.
Tout amateur de littérature noire et de littérature tout simplement devrait avoir les livres de l’auteur dans sa bibliothèque. Bablon incarne la concision sans rien sacrifier et en cela, il est inégalable.
Noir côté cour
Jacques Bablon
Éditions Jigal (septembre 2020)