Face Mort – Stéphane Marchand – Éditions Fleuve noir (octobre 2020)
Ce thriller est une totale réussite. De bout en bout, dénouement compris. Et il faut le dire, le dénouement, c’est souvent le talon d’Achille de très bons thrillers, le moment, pourtant essentiel, où le soufflé retombe. Et on lit souvent « c’était très bien, sauf la fin, un peu tirée par les cheveux » ou « on a l’impression que l’auteur ne savait pas très bien comment clore son intrigue ». Rien de tel dans Face Mort, l’auteur tient brillamment le cap jusqu’au point final. Je vous livre sans plus attendre la quatrième de couverture :
Le sous-lieutenant Georges Kabla, petit génie tout juste sorti de Polytechnique, effectue son stage au centre radioélectrique des Alluets-le-Roi, en réalité une base d'écoute de la DGSE. Sa mission ? Paramétrer Face Mort, un algorithme de reconnaissance faciale extrêmement sophistiqué. Quand la machine déclenche une alerte après avoir détecté et analysé une vidéo, la France se retrouve en première ligne face à une conspiration impitoyable...
À des milliers de kilomètres de là, de l'autre côté de la Méditerranée, en Afrique du Nord, une femme traque dans le plus grand secret les djihadistes français pour les éliminer. Maxime Barelli, capitaine dans les forces spéciales, affronte ses vieux démons, mais obéit aux ordres. Jusqu'à ce matin où elle découvre qu'une arme inconnue vient d'être testée dans une petite ville de Libye. Une arme qui choisit ses victimes, aussi insaisissable que l'air, et qui menace l'Hexagone !
Ça sonne un peu grandiloquent, je vous l’accorde, un peu blockbuster littéraire mais ce n’est absolument pas le cas. Face mort, c’est une traque intense et dense, sans répit pour ses acteurs, qu’ils soient proies ou chasseurs.
Intelligent, captivant et instructif. Tant qu’à lire, j’aime apprendre et j’ai appris une foule de choses. Quant à les retenir, c’est une autre affaire. Un bon roman, c’est certes une bonne intrigue mais il faut impérativement de bons personnages. Et on les a en la personne de Georges Kabla et de Maxime Barelli, entre autres.
Maxime Barelli a déjà connu bien des drames dans son existence. Je ne vous en parlerai pas. Elle est persona non grata sur le sol français. Sa mission, à la tête du détachement de forces spéciales qu’elle dirige de main de maître est de repérer et de neutraliser les terroristes de nationalité française actifs au Maghreb. Neutraliser veut dire tuer, vous l’aurez compris. Pour l’heure, son groupe opère en Libye, un pays qui a sombré dans le chaos complet depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Ici se croisent les mercenaires de tout poil, les terroristes de l’État islamique à la recherche d’un second souffle, les factions armées qui revendiquent toutes la légitimité et qui en appellent à la reconnaissance internationale, un sac de nœuds, un nœud de vipères.
Les gens que traquent Maxime et son groupe sont des professionnels formés, dangereux, affûtés, passés maîtres dans l’art de brouiller les pistes. Des pros pour qui donner la mort n’est pas un problème et pour qui mourir n’est pas un problème non plus. Le travail d’identification est long et pénible mais il est indispensable pour avoir la certitude absolue que la cible est bien la bonne, sans erreur possible. Décors de rêve, atmosphère de feu, de cendres et de sang.
« A chaque pas, Maxime Barelli la sentait crisser contre sa cuisse. La liste. Deux feuilles de papier recto verso, pliées et glissées dans une pochette plastique gonflant la poche de son treillis. La liste des djihadistes français qui ne devaient sous aucun prétexte remettre le pied dans le pays. Une mission semi-officieuse, à la limite de la clandestinité. Il lui arrivait encore d’y jeter un coup d’œil, pour être absolument sûre, mais elle la connaissait par cœur. Cinquante noms, cinquante photos. Quarante-trois hommes et sept femmes. Quatorze hommes et une femme avaient déjà été neutralisés… »
Georges Kabla, surnommé le petit lieutenant, apporte une bouffée d’oxygène, de naïveté et d’insolence au sein de la psychorigide hiérarchie militaire. Son enthousiasme et ses initiatives surprennent et agacent ses supérieurs, peu habitués à avoir sous leurs ordres un geek, de génie peut-être mais un geek tout de même. Ce sont pourtant eux qui vont devoir s’adapter à lui et non l’inverse. Ses fulgurances, ses inspirations géniales valent bien des sacrifices.
« Jusque-là, les audacieux qui avaient tenté de le dompter avaient vite échoué et, pour ironiser sur la difficulté, un plaisantin, sans doute un alpiniste amateur, l’avait affublé d’un surnom éloquent : « Face Mort ». Trop sensible, trop difficile à apprivoiser, trop casse-gueule pour l’avancement. Faute d’une formation, prévue depuis des mois et toujours différée, le nouveau petit bijou numérique de la maison faisait tourner en bourriques tous les « techos ». Il crachait sans interruption de faux « profils à haut risque » qu’il fallait ensuite analyser soigneusement et écarter un par un. »
Le petit lieutenant, mu par une passion insatiable, réussit à transformer les errements du mastodonte en un flot ininterrompu de renseignements essentiels et vitaux. L’algorithme tourne à plein régime, Face Mort est enfin opérationnel.
Stéphane Marchand connaît son sujet sur le bout des doigts, vous me direz « c’est bien le moins qu’il puisse faire ». La conséquence est que Face Mort, que d’aucuns qualifieront un peu trop vite de thriller d’anticipation se révèle être, aux yeux du lecteur, un scénario plausible, une tragédie possible. Et c’est effrayant. Et c’est effarant.
La France, en tant qu’État, a joué et joue probablement encore un rôle en Libye. Et si les alliés d’hier étaient devenus aujourd’hui ses pires ennemis, parce qu’ils ont été trahis, dupés. Impossible ? Non, bien sûr.
Quel que soit l’angle sous lequel vous vous lancerez dans la lecture de Face Mort, je gage que vous passerez un excellent moment. Perso, j’ai adoré.
Stéphane Marchand est diplômé de l’École polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE). Il est l’auteur de nombreux livres (enquêtes, essais, romans). Il est aussi journaliste. Il a notamment travaillé au service étranger du Figaro et est désormais rédacteur en chef de Pour l’Eco. Il y a des gens comme ça, qui semblent avoir mille vies et dont on se demande où ils trouvent encore le temps d’écrire. Stéphane Marchand en fait partie.
Face Mort
Stéphane Marchand
Éditions Fleuve noir (octobre 2020)