Stavros contre Goliath – Sophia Mavroudis – Éditions Jigal 2020

Publié le par Jean Dewilde

 

Je l’attendais de pied ferme, ce deuxième volume des enquêtes du commissaire Stavros Nikopolidis. Après l’excellent Stavros paru en 2018 (http://jackisbackagain.over-blog.com/2018/10/stavros-sophia-mavroudis-editions-jigal-septembre-2018.html), nous retrouvons la fine équipe dans Stavros contre Goliath. C’est un peu comme retrouver des copains, en somme.

Mais pour l’heure, il vaut mieux se tenir à l’écart du commissaire Stavros Nikopolidis. D’humeur massacrante, il tempête en pleine tempête. Se retrouver le 2 janvier 2019 à deux heures du matin en pleine Égée démontée, il n’arrive pas à l’avaler. D’autant que l’ordre lui a été donné par son supérieur, Anastasios Livanos. Seul un homme désespéré et asocial pouvait leur coller une mission pareille entre le jour de l’An et l’Épiphanie. Stavros n’est pas seul à bord, il est entouré par ses équipiers :

Dora, l’ancienne des forces spéciales, voue un véritable culte à Stavros. Totalement impulsive, complètement imprévisible, elle n’a que deux objectifs : venger son frère mort au cours d’une opération d’infiltration ratée et protéger Stavros. Une véritable tête brûlée. Ceinture noire de krav-maga, ce qu’elle préfère, c’est le corps à corps. Elle a toujours sur elle sa panoplie de lames, pourtant non autorisée.

Glykas est l’élément le plus instable et le plus nocif de l’équipe. Si ça ne tenait qu’à lui, Stavros l’aurait déjà viré depuis longtemps. Mais son imbécile de chef n’a pas l’intention de se séparer d’un policier hors pair, selon lui. Alors, Stavros fait avec tout en le surveillant. Car, Glykas, c’est un proche des extrémistes de l’Aube dorée, il hait tout ce qui ressemble de près ou de loin à un étranger, rêve de casser du Turc et d’écraser du migrant. Charmant personnage.

Zervenis est le taiseux de la bande et un observateur exceptionnel, capable de prévenir d’un danger que lui seul a senti venir. Son point faible, la cigarette, il adore faire des tas avec ses mégots.

Eugène, l’ex-hackeur délinquant, un génie de l’informatique et désormais aussi pilote de drones.

La mission qu’ils sont chargés de mener à bien est d’intercepter un terroriste présumé, fiché S dans son pays d’origine. D’après leurs informations, il serait caché parmi des migrants et se rend à Athènes pour rencontrer des complices censés le fournir en armes et en faux papiers. L’objectif final étant de perpétrer un attentat en Europe. Et tant qu’ils y sont, il serait opportun qu’ils arrêtent le passeur également. Stavros ne décolère pas, ce qu’on leur demande est suicidaire, mais ses états d’âme, le directeur Livanos n’en a cure.

Bien entendu, l’opération est un fiasco complet. Des migrants noyés ou morts sur le rivage, le terroriste en fuite et le passeur envolé.

L’éditeur dit : « Avec cette nouvelle tragédie grecque des temps modernes, c’est toute l’âme d’une Grèce épuisée qui jaillit avec force des pages de ce roman édifiant ! » C’est parfaitement résumé. Car, si l’intrigue consiste désormais dans la traque d’un terroriste et de quelques intermédiaires, c’est bien la Grèce qui est au cœur de l’ouvrage de Sophia Mavroudis. Un pays abandonné, monnaie d’échange et de chantage entre la Turquie et l’Union européenne.

Le fameux camp de Moria sur l’île de Lesbos en est un exemple criant, vous en avez tous entendu parler. Ravagé et détruit par un incendie en septembre 2020, il abritait quelque 12 000 réfugiés dans des conditions indignes. Outre le froid, le quotidien de ces réfugiés était rythmé par la prostitution, les viols, les enlèvements de mineurs, le trafic de drogue et d’organes. A cette violence effroyable est venue s’ajouter la menace sanitaire.

Alors, oui, les Grecs sont épuisés, deviennent moins tolérants, moins accueillants. Pourquoi diable la Grèce est-elle le seul pays à héberger les réfugiés en si grand nombre ? Pourquoi diable une juste répartition dans toute l’Union est-elle à ce point compliquée ? Vous connaissez les réponses à ses questions.

En plantant son intrigue dans ces camps où survivre prend tout son sens, Sophia Mavroudis précipite Stavros et sa bande dans les ténèbres. C’est un peu Rendez-vous en terre inconnue. Le camp a ses propres codes, son fonctionnement est régi par une hiérarchie officieuse, invisible, violente. Nationalités différentes, communautés hostiles, la tension est permanente, l’affrontement aussi.

Elle souligne habilement le gouffre existant entre les personnes qui bossent au quotidien dans ces camps, avec passion et peu de moyens et une bureaucratie indifférente, hautaine, pleine de consignes et vide de cœur.

Pour autant, Sophia Mavroudis, tout en racontant avec lucidité les turpitudes et le cynisme avec lesquels son pays est traité, garde tout l’humour présent dans son premier roman. Les saillies et joutes verbales entre Stavros et son chef sont savoureuses, les reparties de l’un amenant les ripostes de l’autre. Jubilatoire. Et puis, il y a toute l’âme du Sud, toute la douceur méridionale incarnée par Stavros. Amateur de bonne chère, mélomane averti, il aime son pays, viscéralement. On ne peut prétendre être grec si on ne sait pas jouer au tavli, vulgairement version grecque du backgammon. Le tavli fait véritablement office de pont entre les générations, on y joue partout, tout le temps.

Quant au titre, Stavros contre Goliath, je l’ai compris comme Goliath désignant la somme de tous les défis auxquels la Grèce fait face et qu’elle devra affronter dans les années à venir.

Comme le lui dit son fils, Yannis, 13 ans que Stavros n’a pas vu grandir :

« …Tu m’as toujours dit qu’avec la crise, on a tous grandi trop vite. On ne doit rien rembourser à la troïka. Ils ont été trop durs avec nous, à cause des Allemands. On a effacé leur dette après la Seconde guerre mondiale, mais eux ne nous rendent pas la pareille. Ils sont de mauvaise foi. Les créanciers ont gagné des milliards sur notre dos. Et maintenant, ils nous vendent des armes pour affronter les Turcs au lieu de nous payer la santé ou les écoles. Dès qu’il s’agit de leurs profits, ils oublient notre dette. Ce n’est pas l’Europe dont tu m’as parlé quand j’étais petit, Papa. »

Quatrième de couverture

Le commissaire Stavros Nikopolidis est un électron libre et désabusé, charmeur invétéré, amateur d’ouzo et de rebetiko, au caractère bien trempé et à l’instinct aiguisé. À peine remis de la traque de son ennemi intime, il se retrouve, sur ordre de sa hiérarchie et de Bruxelles, à devoir collaborer avec les Turcs – ennemis jurés des Grecs depuis toujours – en vue d’interpeller en mer Égée un terroriste embarqué dans une caravane de migrants à destination de l’Europe. Mais Dora, coéquipière de Stavros et ancienne des forces spéciales, semble nourrir une rancune tenace envers ce terroriste et Cengiz, ce chef turc de la police côtière qu’on leur a collé aux basques. Traques effrénées, coups fourrés et retournements se succèdent. La rage qui anime Dora va brouiller les cartes… Et c’est sur une partie de tavli que tout va se jouer !

Stavros contre Goliath

Sophia Mavroudis

Éditions Jigal (septembre 2020)

 

 

 

Publié dans Le noir français

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