Cannisses - Marcus Malte
En ces temps où les journées raccourcissent, où le ciel choisit le plus souvent un gris passe-partout qu’un bleu azur requinquant, vous aimeriez peut-être une lecture frivole, primesautière, lumineuse.
Si c’est le cas, mettez de côté Cannisses. Quatrième de couverture :
Dans un lotissement de province, un homme tente de surmonter la mort de sa femme et d’élever seul leurs deux enfants. Retranché derrière ses cannisses, il observe ses voisins : un couple et leur petite fille. Une famille unie, en bonne santé, qui vit avec insouciance et légèreté dans un pavillon semblable au sien. Des gens heureux. Pourquoi eux et pas lui ? A quoi ça tient, le bonheur ? A presque rien. A un fil. A l’emplacement d’une maison. A un numéro sur la façade. Peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’une simple rue, parfois, sépare la raison de la folie. Il suffit de la traverser pour que tout bascule. Avec Cannisses, l’auteur nous entraîne, doucement mais inéluctablement, dans le récit de la douleur ordinaire. Et de l’horreur absolue.
Ce récit, terrible et éprouvant, croyez-moi, tient en quatre-vingt-quatre pages. Marcus Malte réussit un authentique tour de force dont peu d’écrivains sont capables. Interdiction de se mettre en mode lecture rapide.
Le narrateur est l’homme qui a perdu sa femme et qui se voit contraint d’éduquer seul leurs deux garçons. Il n’a pas de travail.
Pourquoi sa femme est-elle morte et pas celle de son voisin ? Sa douleur et sa peine se transforment peu à peu en un sentiment d’injustice ; le ressentiment et la haine affleurent. Il ne veut pas se venger, il veut simplement remettre les choses à niveau. Obsédé ? Oui, peut-être, sans doute, sans aucun doute. Si la maison des voisins avait été la leur, rien ne serait arrivé. La chatte Guimauve ne se serait pas faite écrasée, sa femme ne serait pas décédée.
On ne peut en vouloir à cet homme de ne point pouvoir surmonter son chagrin.
Un peu d’empathie et nous nous posons la question : que ressentirions-nous si nous étions frappés par les mêmes événements ? Moi, je ne peux pas apporter de réponse.
La probabilité de nous retrouver plongés dans ce cauchemar n’est pas si infime. Il s’agit d’un événement tragique mais ordinaire. Je vous l’accorde, la plupart d’entre nous réagirions différemment, pour les enfants, pour soi, pour la vie en s’aidant de toute l’aide disponible, amis, parents.
L’auteur fait en sorte que nous ne puissions pas éluder la question. Il met en brèche le fameux « ça n’arrive qu’aux autres ». Rien n’est plus faux et nous le savons.
Rien de fou au sens littéral du mot dans l’attitude de cet homme. Rien que de petits gestes répétés et accentués au fil des jours, une folie ordinaire, un déséquilibre prononcé, oui, mais jusqu’où ?
Après Garden of love et Les harmoniques, c’est avec un plaisir immense que je retrouve Marcus Malte dans un registre et un style très différents. Mais quand un auteur a autant de talent, rien ne lui est interdit.
Un seul bémol mais d’importance, le prix : 12 euros. Privilégiez le partage ou une visite dans vos bibliothèques habituelles. Mais lisez Cannisses !
Cannisses
Marcus Malte
84 pages
Éditions de l’Atelier in8, 2012
Collection Polaroid