Les jardins de la mort - George P. Pelecanos
Pelecanos compte parmi les tout grands noms du polar. On a coutume de lire et d’entendre que Pelecanos est à Washington que ce James Ellroy et Michaël Connelly sont à Los Angeles ou Herbert Lieberman à New York.
Les faits débutent en 1985 avec la découverte dans un potager du corps d’une adolescente noire, Eve Drake, abattue d’une balle dans la tête. L’année précédente, deux autres adolescents noirs avaient été pareillement assassinés et leurs corps jetés dans les jardins communautaires. Ces deux-là s’appelaient Ava Simmons et Otto Williams. Comme pour Otto et Ava, le prénom de Drake, Eve, pouvait se lire dans les deux sens. Apparemment, le tueur est un adepte des prénoms palindromes*.
Sur la dernière scène de crime, en 1985 donc, on retrouve un policier noir T.C. Power, la cinquantaine, en charge de l’enquête et deux jeunes agents de police blancs, Dan Holiday et Giuseppe Ramone, dit Gus ; ces deux derniers ayant pour mission de tenir les badauds à distance et à l’écart de la scène de crime. Ces meurtres ne seront jamais élucidés.
* PALINDROME adj. + n.m. Mot ou phrase pouvant être lu dans les deux sens (ex : KAYAK).
Vingt ans plus tard, on retrouve une nuit un adolescent noir dans un jardin public, tué d’une balle en pleine tête. Il s’appelait Asa Johnson et son prénom pouvait se lire dans les deux sens. Le spectre des « meurtres à palindrome » ressurgit subitement.
Que sont devenus le sergent noir et les deux jeunes recrues blanches depuis 1985 ? Accusé d’être un flic ripoux, Dan Holiday a démissionné de la police ; il a créé sa propre société de limousine qui véhicule hommes d’affaire, vedettes du showbiz et autres VIP. Gus Ramone est inspecteur. Il est marié à une Noire, Regina, rencontrée au sein de la police dont il a deux enfants, l’aîné, Diego et une fillette prénommée Alana. Quant au sergent T.C. Power, il est retraité et diminué par un accident cérébral. Il reste obsédé par ces meurtres commis vingt ans plus tôt qu’il n’a pas réussi à élucider alors qu’il était en charge de l’enquête.
Dan Holiday a un penchant prononcé pour la boisson et pour les femmes. Il mène une vie de bâton de chaise. Gus Ramone est un inspecteur apprécié et un mari attentionné. Il s’occupe de ses deux enfants, un ado de quatorze ans prénommé Diego et d’Alana, une fillette. Il est d’autant plus inquiet et concerné par ce meurtre que la victime était un copain de son fils.
Le troisième larron, le sergent T.C. Power, vit seul chez lui où il s’est bricolé un véritable laboratoire lui permettant de capter toutes les fréquences de police et de suivre les interventions en cours en temps réel.
Holiday veut faire la preuve qu’il aurait fait un excellent officier de police, T.C. Power, à cause de ce meurtre, va retrouver la motivation de se lever le matin. Il a depuis toujours soupçonné un homme dont l’alibi en béton armé a eu comme effet qu’il ne soit pas inquiété. Mais si la vérité était ailleurs ?
L’auteur nous balade dans une ville de Washington où il ne fait pas si bon vivre que cela, où mourir n’est pas une éventualité farfelue. Non, décidément, être noir à Washington n’est pas un avantage. Et puis, il y a le crack, la drogue des pauvres, qui circule et qui tue encore plus sûrement qu’un flingue.
Il y a d’autres affaires en cours dans ce polar remarquable. Et c’est tout l’art de l’auteur d’imbriquer celles-ci sans jamais alourdir le rythme et en maintenant une belle cohérence. Pourquoi ajouter d’autres affaires, d’autres crimes, d’autres trafics ? La réponse me semble couler de source. Washington ne peut, même le temps d’un livre, être le théâtre d’un seul meurtre. Ce ne serait pas crédible. La violence est partout, latente, attendant une étincelle pour nous exploser à la figure.
Un mot de l’auteur : George P. Pelecanos est né à Washington dans un quartier défavorisé. La topographie de la ville est imprimée sur les semelles de ses chaussures tant il l’a parcourue en large et en travers. Si vous guettez la Maison Blanche au détour d’une page, laissez tomber, l’action se déroule ailleurs, dans d’autres lieux. Pas de super héros non plus, des personnages ordinaires, normaux, des deux côtés de la barrière. Un roman brillant, touchant, émouvant même avec un final qui m’a laissé sans voix.
Les jardins de la mort
The Night Gardener
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Étienne Menanteau
Éditions du Seuil