Quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre - Robin Cook
Il y a ces livres que l’on a bien aimés, que l’on conseille à d’autres, que l’on prête ou que l’on donne bien volontiers car ils nous ont plu le temps de leur lecture. De très bons livres donc mais qui ne tiennent pas une place indispensable dans notre bibliothèque.
Et puis, il y a les autres, ceux que l’on ne prêtera jamais, à fortiori que l’on ne donnera pas et pour lesquels on construirait une bibliothèque spécialement conçue pour les mettre à l’abri de la poussière, de la lumière et des variations de température.
Ce titre de Robert William Arthur Cook compte parmi ceux-là, toute l’œuvre de ce génie du roman noir anglais mérite la plus haute protection.
Ce roman a été écrit en 1970 - cela ne peut vous arrêter - à une époque où les dictatures étaient encore bien vivantes sur le vieux continent (la Grèce des Colonels, Franco en Espagne, Salazar au Portugal).
Richard Watt et sa compagne Magda Carson vivent depuis cinq ans à Roccamarittima en Toscane. Ils y ont acheté une ferme en ruines, l’ont retapée et ont embrassé la profession de viticulteurs. Ils ont tous deux la nationalité britannique et ne sont pas mariés. Ils s’intègrent remarquablement dans cette superbe région italienne, Richard devient « Riccardo » pour les gens du village.
Mais pourquoi ont-ils quitté l’Angleterre ? Richard Watt, journaliste politique engagé, s’en est pris à Jobling, l’étoile montante du parti socialiste ; il l’a publiquement humilié lors d’une émission télévisée. Dès lors, il devient encombrant pour toutes les rédactions du royaume d’autant que Jobling devient Premier Ministre. Au chômage, le Richard ! Viva Italia !
Ils arrivent en Italie au volant d’un vieux camion militaire Bedford qui contient tout ce qu’ils possèdent au monde. Si je vous parle de ce camion, c’est parce que j’en ai conduit un pendant mon service militaire en 1980. L’apprentissage fut difficile, pas de direction assistée, double embrayage pour espérer passer une vitesse. Mais quel pied ! J’ai réussi à garder mes deux paires de chaussure de l’armée mais pas mon camion, ce bahut increvable que je conduisais les yeux fermés et à tombeau ouvert. Mais ne nous apitoyons pas !
Il a de la gueule, non ?
A la fin de son mandat, Jobling annule les élections, dissout le parlement et prend le pouvoir. Il instaure le Nouvel Elan, régime totalitaire. Le Pays de Galle et l’Écosse ont pris leur indépendance, l’Angleterre est seule et isolée sur son île – notez le brillant jeu de mot qui n’appartient qu’à moi !
Et c’est là que les choses vont commencer à se compliquer pour Riccardo, alias Richard Watt et pour sa compagne Magda. A cent lieues de se douter de ce qu’allait devenir leur patrie, Richard n’a jamais envisagé de prendre la nationalité italienne. Il devient extradable. Et qui plus est un extradable hautement prioritaire pour Jobling, qui a conservé dans sa mémoire vive le camouflet que lui a infligé Richard Watt des années auparavant.
Bien sûr, l’espoir est là, Richard « Riccardo » a des relations. Espoir rapidement déçu. Il fait partie de ces quarante-neuf cas que Londres veut à tout prix récupérer. Pas de place pour la négociation. Au contraire, les autorités anglaises menacent de renvoyer, chez eux, en même temps, tous les ressortissants italiens résidant en Angleterre si elles n’obtiennent pas satisfaction.
Je pourrais vous bassiner en disant que ce bouquin est saisissant d’actualité. Je pourrais tenter de vous faire une brillante démonstration en vous rappelant que « Ce n’est pas si loin que ça » ou que « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? ».
Ce n’est pas l’objectif d’une chronique. Oui, ce roman est effarant. Oui, ce roman met très mal à l’aise. Mais c’est aussi un roman d’une très grande qualité d’écriture. L’auteur est passé maître dans la restitution des émotions et des sentiments. Il joue brillamment la partition de l’anticipation. On a beau deviner les événements, faire les malins mais quand ils se produisent, on se ramasse une claque magistrale dans la figure.
C’est ici que je vous laisse. Vous l’aurez compris, selon moi, Quelque chose de pourri au royaume d’Angleterre est un pur chef-d’œuvre.
Quelque chose de pourri au royaume d’Angleterre
Robin Cook
Traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias
Rivages/Noir
393 pages