Derrière la haine - Barbara Abel
/image%2F0694939%2F201308%2Fob_3a09a9_51tjkyum4zl-aa200-derriere-la-haine1.jpg)
J’avais déjà beaucoup entendu parler de Barbara Abel et je n’avais encore rien lu d’elle. C’est davantage par curiosité que par conviction que j’ai entamé la lecture de « Derrière la haine ». En quelques pages, elle m’a complètement ferré, soudé aux caractères d’imprimerie qui défilaient devant mes yeux ébahis.
L’intrigue est somme toute banale et c’est précisément cette banalité qui donne au roman toute sa puissance, toute sa résonnance. Tiphaine et Sylvain d’un côté, Laetitia et David de l’autre. Deux couples, voisins et amis. Ils prennent l’apéro tous les vendredis soirs chez l’un ou chez l’autre. Ils ont chacun un garçonnet du même âge qui jouent et grandissent ensemble. Maxime et Milo, inséparables. Ils ont l’habitude d’aller sonner les uns chez les autres pour des peccadilles : une bouteille de lait, un paquet de farine,…Jusqu’au jour où ils trouvent que ce serait plus commode et plus court de faire un passage dans la haie qui sépare leurs jardins.
C’est dingue comme des marmots peuvent indirectement tisser et renforcer des liens d’amitié entre leurs parents respectifs. Car soyons de bon compte et regardons la réalité en face : sans les mouflets, la relation entre les deux couples aurait probablement été une relation polie, de bon voisinage, sans plus. L’occasion de dire qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des enfants.
Et puis survient le drame. Imprévisible. Durée : quelques secondes, tout au plus. Cette belle sérénité, cette amitié sans faille, cette confiance aveugle vont se transformer en leurs contraires. Barbara (je l’appelle par son prénom, elle est belge, bruxelloise et habite à une portée de fusil de mon domicile, alors je peux) nous plonge dans l’horreur.
La méfiance, la suspicion, la jalousie, le chagrin deviennent les murs porteurs de ces deux couples. On évite de se croiser, on ne sort pas les sacs poubelles à la même heure de peur de capter le regard de l’autre ou devoir échanger un mot ou un signe de tête. Petit à petit, progressivement, le sentiment le plus destructible, le plus nocif, celui qui empêche tout discernement va se nicher dans les cerveaux, les cœurs et les tripes : la haine.
Cependant, je vous fais remarquer avec ma pertinence coutumière que ce roman ne s’intitule pas « La haine » mais « Derrière la haine ». Est-ce à dire que la haine ne se suffit-elle pas à elle-même ? Peut-on haïr tout simplement ? Non, bien sûr. La haine doit se cultiver, elle doit être nourrie et alimentée. Et quel est le mets préféré de la haine ? S’il vous plaît, faites un effort, concentrez-vous, ça coule de source. La vengeance, pardi, la vengeance !
Barbara réussit le tour de force d’instiller dès le première page et jusqu’à la dernière une tension qui ne faiblit à aucun moment. Ses personnages partent à la dérive, vivent par habitude, se torturent et se déchirent. La haine s’invite dans les couples eux-mêmes, l’obsession rend bête, méchant et aveugle.
En lisant ce thriller psychologique de très grande qualité, j’ai pensé à « Canisses » de Marcus Malte ou à Thomas Cook et « Les feuilles mortes ». Il n’est pas difficile d’en identifier les raisons. Je me suis senti mal à l’aise et mis à mal, tout simplement parce que Barbara nous plonge dans la réalité ou ce qui pourrait l’être ou s’en rapprocher.
Certains lecteurs pourraient trouver le final fantaisiste et peu plausible ; pour ma part, je me suis laissé emporter par l’épilogue et le dénouement, encore que « dénouement » n’est pas le mot qui convienne le mieux. Il y a des nœuds qui sont difficiles à défaire surtout quand ils sont logés au creux de l’estomac.
Barbara Abel fait partie de ces écrivains observateurs de l’âme dont le grand talent réside dans l’art et l’habileté de restituer la palette infinie des émotions de l’être humain. Chapeau bas, Madame Abel.
Derrière la haine
Barbara Abel
Fleuve Noir 2012
Pocket 2013