kolyma - Tom Rob Smith

Publié le par Jean Dewilde

kolyma  - Tom Rob Smith

1956. L'URSS est plongée dans le chaos. Khrouchtchev entreprend sa politique de déstalinisation : le temps est venu de régler les comptes. Ex-agent du contre-espionnage, Leo Demidov est à la tête d'un département de criminologie. Avec sa femme, il a adopté deux fillettes mais l'aînée hait ce père de substitution. Et elle n'est pas la seule... Dans l'ombre, une femme ivre de vengeance attend son heure. Pour sauver les siens, Leo n'aura bientôt d'autre choix que de se jeter dans la gueule du loup : le terrifiant goulag de Kolyma.

Kolyma est le deuxième roman de Tom Rob Smith. Le premier s’intitule « Enfant 44 ». Un premier roman époustouflant à tous points de vue (intrigue, documentation, rythme, écriture), une maîtrise absolue du sujet.

S’il n’est pas indispensable de lire ce chef d’œuvre avant d’aborder « Kolyma », Je ne peux que vous en recommander très chaudement la lecture pour deux raisons : d’une part, vous retrouvez dans ce deuxième opus les principaux protagonistes de « Enfant 44 », d’autre part, et cela me peine, « Kolyma » déçoit, tout en nous livrant des passages magistraux.

Staline est mort, Khrouchtchev est au pouvoir. Celui-ci publie un *rapport secret à l’occasion du 20ème congrès du parti communiste qui dénonce les atrocités commises sous Staline par ses hommes de main dont le MGB, police secrète qui précéda le KGB en URSS. Leo Demidov en était un membre zélé et avait expédié dans les camps de travail un nombre considérable de ses compatriotes.

*Dans la nuit du 24 au 25 février 1956, à Moscou, les délégués du XXe Congrès du Parti Communiste d'URSS s'apprêtent à quitter la salle après dix jours de débats sans anicroche ni surprise. Les journalistes et les délégués étrangers sont déjà sortis... Nikita Khrouchtchev, Premier secrétaire du parti, demande alors aux délégués de se rasseoir et pendant quatre heures, il va leur lire un rapport secret dont il leur sera expressément demandé de ne divulguer aucun extrait écrit à l'extérieur. Devant les délégués abasourdis, le secrétaire général accuse son prédécesseur Staline de crimes ignobles, hélas bien réels. Notamment de la mise en accusation et de l'exécution de nombreux dirigeants communistes lors des grands procès de Moscou, vingt ans plus tôt (parmi lesquels Trotski). Il condamne également le culte de la personnalité qui a entouré le «petit père des peuples» et met en cause ses qualités de stratège pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il reconnaît à Staline un «rôle positif» dans la collectivisation des terres et l'industrialisation, même si ces opérations se sont soldées par la déportation et le massacre de plusieurs millions de Soviétiques dans les années 1931-1936 ! Malgré toutes les précautions prises par les Soviétiques, le New York Times publie des extraits du rapport secret dès le 16 mars. Le texte a été bienveillamment fourni au quotidien de New York par la CIA (Central Intelligence Agency), qui l'a elle-même obtenu d'un leader communiste polonais juif, irrité par des allusions antisémites de Khrouchtchev, par l'intermédiaire du Mossad (les services secrets israéliens). Le rapport est publié in extenso quelques semaines plus tard. Il consacre la prise de pouvoir par Nikita Khrouchtchev et clôt son entreprise de «déstalinisation», trois ans après la mort du Vojd («Guide» en russe, surnom de Staline).

*informations extraites du site Hérodote.net, la référence des passionnés d’Histoire.

Une des conséquences directes de ce rapport explosif est la suivante: les dénonciateurs d’hier deviennent les dénoncés d’aujourd’hui et à l’échelle d’un pays gigantesque, cela en fait du monde. L’heure des comptes a effectivement sonné. La peur a changé de camp mais les méthodes, elles, restent les mêmes, sinistres et odieuses ; la délation qu’il est plus valorisant de nommer information va précipiter le sort des bourreaux sous l’ère stalinienne. En réalité, on ne fait qu’inverser les rôles.

Une des grandes forces de « Kolyma » réside dans la parfaite connaissance de l’auteur des rouages politiques, socio-économiques de l’URSS ainsi que des tensions naissantes dans les pays satellites, en l’occurrence l’insurrection hongroise d’octobre 1956.

Je vous parlais plus haut de passages magistraux. Je pense notamment à la traversée dans la mer d’Okhotsk de L’Étoile bolchevique, un cargo à vapeur en bout de course. « Après avoir battu pavillon hollandais, il avait été racheté, rebaptisé et réaménagé par la police secrète soviétique dans les années trente. » « …il transportait désormais des hommes vers les goulags les plus meurtriers de la maison Russie. » Une écriture très visuelle d’une mer démontée, de la lutte désespérée des marins pour maintenir le navire pénitentiaire à flot, des prisonniers pris au piège dans la cale, je m’y suis cru.

L’arrivée de Leo dans la Kolyma, région située dans l’extrême est de la Sibérie, nous offre de très belles pages également. Description hallucinante de paysages désolés, des baraquements abritant les détenus, des conditions de travail sous des températures avoisinant parfois les -50C°. Le froid, la faim et l’épuisement tuent en masse. Terrible, édifiant !

Pourquoi « Kolyma » déçoit-il ? Ou plutôt déçoit les lecteurs de « Enfant 44 ». Le fil rouge du livre est fort ténu, prêt à se rompre à tout moment. Pour sauver l’aînée de ses deux filles adoptives, Zoya, enlevée et qui ne lui sera rendue que s’il réussit à faire sortir un dénommé Lazare du goulag de la Kolyma, Leo Demidov embarque à bord de L’Étoile bolchevique, le navire pénitentiaire. Pour le succès de sa mission, il est mêlé aux autres prisonniers dans la cale du cargo.

Leo Demidov, qui ceci dit en passant est une belle crapule, devient un super-héros capable de se tirer d’affaire de toutes les situations, plus invraisemblables les unes que les autres. Par exemple, je ne pense pas que vous soyez capable de creuser la terre gelée de Sibérie avec les capsules synoviales éclatées. Ça ne le fait pas. Mais lui le fait, le bougre ! Soyez donc un lecteur clément, passez l’éponge sur le côté quasi invincible du bonhomme.

Un autre bémol réside dans la longueur de l’ouvrage : 403 pages en version brochée, 504 pages en pocket. A tous les coups, il y a cent pages de trop. Cette centaine de pages consacrées à l’insurrection hongroise en octobre 1956, l’auteur aurait pu et dû nous les épargner ou y consacrer un autre roman.

Je la sens venir votre question à deux centimes, petits impertinents : « Mais pourquoi écrit-il une chronique sur "Kolyma" alors qu’il recommande la lecture de "Enfant 44" ?" » Ma réponse est cinglante : « Enfant 44 », je l’ai lu à sa sortie en 2010 et mon blog a vu le jour en mars 2012. Je concède humblement que ma mémoire n’est pas assez aiguisée pour écrire une chronique d’un livre lu il y a quatre ans. Et puis, « Kolyma » recèle suffisamment de qualités pour être lu avec grand plaisir.

Bon dieu que j’ai été long !

Kolyma

Tom Rob Smith

Pocket (6 janvier 2011)

504 pages

Publié dans Le noir anglais

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L
Je m'étais laissé entendre dire que ce roman là n'était effectivement pas aussi bon qu " Enfant 44". Ta chronique vient donc me confirmer cette idée. BOn c'est ballot, ce bouquin traine sur mes étagères depuis sa sortie, je n'ai pas eu le temps de le lire, je crois qu'il se passera encore beaucoup de temps avant que je ne le fasse. A moins que je le mette de côté, direction les puces ;) Je te salue bien mon Jean, un bye qu'on a pas échangé toi et moi ! Amitiés
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J
Coucou Bruno, <br /> Enfant 44 est un roman extraordinaire. Faire mieux ou aussi bien n'était pas une sinécure. Comme je l'ai écrit, le livre a beaucoup de qualités mais ne souffre pas la comparaison avec Enfant 44. J'en profite pour te féliciter, tu sais pourquoi. Amitiés. Jean Le Belge comme m'appelle Pierre.