Mélanges de sang - Roger Smith
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L’action de ce polar noir de noir se situe au Cap, Afrique du Sud.
Il y a les paysages à couper le souffle, la banlieue chic et huppée qui abrite les somptueuses villas des Occidentaux et l’immensité des Flats où règnent les gangs, la prostitution, la violence et le tik, une drogue qui fait d’énormes ravages dans les townships. Celles et ceux qui veulent en savoir plus cliquent sur le lien ci-dessous.
http://www.lalibre.be/actu/international/une-generation-accro-au-tik-51b8e200e4b0de6db9c4c77a
Ajoutons-y une corruption à tous les étages, une immunité totale ou presque pour ceux qui sont censés représenter la loi et qui, sous ce couvert, se rendent coupables des pires exactions. Si vous êtes normalement constitués, vous n’irez pas au Cap, non par crainte d’y perdre la vie, choisissez vos quartiers mais mus par le bon sens que je qualifierais de sens moral.
Il est exceptionnel que je commence une chronique de manière engagée mais Roger Smith, dont c’est le premier roman, a le cran de dénoncer tous les travers et déviances de cette société sud-africaine et il le fait de manière crue et sans concession. Le culot et le talent dont il fait preuve me laissent pantois ou pends-toi – biffer la mention inutile.
L’intrigue, parlons-en. Jack Burn, sa femme Susan enceinte et leur fils Matt sont agressés un soir par deux membres du gang des Americans, drogués jusqu’à la moelle. Ex-Marine réfugié en Afrique du Sud, Jack les tue. Mais Benny Mongrel, veilleur de nuit dans l’immeuble en chantier faisant face à la villa des Burn a tout vu. Ce n’est pas un tendre, le Benny. Ancien du gang des 28, il vit dans l’enfer des Flats.
Il n’a aucune envie de raconter à quiconque ce à quoi il a assisté. Le problème est que le flic Rudy Barnard, surnommé Gatsby n’est pas quiconque. Il n’a rien de Gatsby le magnifique. Dans le genre immonde, il n’a pas de concurrence. Il règne en maître dans les Flats, tout le monde le connaît, tout le monde en a peur. Y compris dans la corporation où il tient par les couilles et le chantage la plupart de ses collègues. Les pleins pouvoirs, en quelque sorte.
Jusqu’au jour où débarque Disaster Zondi, agent spécial zoulou relevant directement de l’autorité du Ministère de la Protection et de la Sécurité. Sa mission : enquêter sur Gatsby et le faire tomber.
L’intrigue est menée avec maestria et brio ; Je n’ai relevé aucune incohérence, aucune approximation, aucune précipitation dans le récit. Aucun temps mort. L’auteur étale sa partition qui ressemble fort à l’imposé du concours Reine Élisabeth, version piano ou violon, à vous de choisir. Indigeste, nauséeuse. Dans les méandres, les ruelles et le labyrinthe que forment les Cape Flats, beaucoup de laideur, de brutalité. A tel point que je me demande si y survivre n’est pas la pire des choses.
Vous avez plus haut quatre des principaux personnages. Rudy Barnard, Gatsby pour tout le monde, est obèse, adepte de la malbouffe. Le décrire est assez simple : des colliers de graisse qui se juxtaposent des chevilles jusqu’au cou, des cuisses aussi épaisses que le tronc d’un séquoia géant mais à la texture gélatineuse. Il a l’haleine fétide, tous les pores de sa peau exhument une odeur épouvantable. Il n’est que moiteur et transpiration.
Benny Mongrel, lui, n’a qu’un profil ; à dix-huit ans, un membre du gang des Americans lui a assené un coup de hache qui lui a emporté l’œil gauche et enfoncé le visage du sourcil au menton. Pas beau à voir le mec.
A côté des précités, Disaster Zondi et Jack Burn n’ont physiquement pas grand-chose à faire valoir.
Tous les personnages que vous croiserez dans ce « Mélanges de sang » sont admirablement campés. Je pense à ces deux femmes qui vivent dans les Flats, Carmen Fortune et Bérénice September, la première vivant quasi un moment d’exaltation en apprenant que son mari s’est fait dézinguer, la seconde prise d’hystérie à la vue du corps de son fils calciné. Deux superbes portraits de femme dans leur combat au quotidien.
Vous l’aurez compris, ce roman n’a pas été écrit à quatre mains avec Danielle Steel. Un roman dur et nécessaire et un polar passionnant loin au-dessus du lot.
Roger Smith utilise un procédé classique à mesure que l’intrigue approche de son dénouement : chapitres courts, paragraphes plus serrés. Cela fonctionne à la perfection. Les enchaînements sont fluides et les portes se referment une à une jusqu’à la fin, somptueuse.
Très bonne traduction du titre original Mixed Blood. Mélanges de sang ou la cohabitation entre Noirs, Blancs, Métis, Afrikaners et Boers.
A noter que « Mélanges de sang » a été couronné par le Deutschen Krimi Preis et le non moins prestigieux Balai d’Or 2011 créé par Le concierge masqué qui en était à sa première édition. On ne pouvait rêver meilleur départ.
Je vous recommande vivement de lire les deux entretiens que Roger Smith a accordés à Richard, notre concierge masqué, avec la traduction en français assurée par Caroline Vallat. Prenez-le temps, lisez-les, c’est terrible, effarant mais avoir connaissance de cette réalité, c’est aussi avoir un regard attentif sur ce qui se passe ailleurs que chez nous.
J'ai été long, très long, contrairement à mes habitudes mais le jeu en valait la chandelle. Et comme le dit, Claude Mesplède, lire rend moins con.
http://www.concierge-masque.com/2011/07/31/interview-de-roger-smith-melanges-de-sangs-part-1/
http://www.concierge-masque.com/2011/08/03/interview-de-roger-smith-melanges-de-sangs-part-2/
Mélanges de sang
Mixed Blood
Roger Smith, 2009
Calmann-Lévy, 2011, pour la traduction française
Le livre de Poche, 9 mai 2012