Né sous les coups - Martyn Waites
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1984 : les Conservateurs de Thatcher sont au pouvoir et les mineurs en grève. « Deux tribus qui entrent en guerre »*, pour reprendre une célèbre chanson anglaise de l époque.
À Coldwell, cité minière du Nord, les mineurs ont lutté quasiment jusqu’à la mort, mais ça n a pas suffi : manipulant l’opinion, n’hésitant pas à recourir à la violence policière ni à déformer la réalité, les Conservateurs avaient à l’ époque méthodiquement cassé les reins du mouvement ouvrier. Pour les vaincus, le prix de la défaite sera exorbitant. Coldwell est, une génération plus tard, une ville sinistrée et gangrenée par la criminalité.
*Two Tribes de Frankie goes to Hollywood, 1984
Un roman extraordinaire, un premier roman qui plus est. Il y a longtemps que je n’ai plus lu un roman d’une telle intensité. Tragique, désenchanté, désespéré.
La littérature noire a déjà consacré quelques formidables polars s’inscrivant dans les années de règne de Margaret Thatcher. Leurs auteurs (Stuart Neville, Adrian McKinty, Sam Millar, Robin Cook,…) font plus qu’œuvre utile en stigmatisant et en fustigeant la politique de « La Dame de Fer ». Son autoritarisme aveugle, son inflexibilité et son entêtement ont généré des drames humains et des tragédies sociales à jamais marqués au fer rouge dans la conscience collective britannique ; que ce soit face aux grévistes de la faim de l’IRA provisoire en 1981 ou face aux mineurs grévistes en 1984-1985, la réponse unique du gouvernement Thatcher a été le recours à la violence sanglante, systématique, sans limites.
Je suis très reconnaissant à ces auteurs de nous permettre de comprendre et mieux, de ressentir, ce qui s’est produit dans ces années-là. Dans « Né sous les coups », c’est la grève des mineurs qui est le tableau principal, ce sont eux les ennemis désignés, ce sont eux les sacrifiés et avec eux, leurs familles et tout ce qui prospérait grâce au travail de la mine. Martyn Waites met également un point d’honneur à rétablir certaines vérités. Certes, les mineurs n’étaient pas des anges mais l’assujettissement des médias au pouvoir ne les a jamais décrits et montrés autrement que comme des assassins, des casseurs. La violence n’est jamais l’apanage d’un seul camp, tout le monde sait cela.
L’auteur articule son roman autour de la bataille de Coldwell, ville minière fictive située quelque part au nord-est de l’Angleterre, dans le Northumberland. Et cette bataille opposant mineurs grévistes et policiers, l’auteur nous la raconte avec un réalisme ahurissant, une sensibilité qui vous prend aux tripes, on sent les coups pleuvoir, on tente de se mettre à l’abri, d’échapper à cette folie meurtrière qui envahit le cœur et le corps des hommes et les rend incontrôlables, ivres de frapper, d’écraser, de piétiner. Plus rien désormais ne sera et ne pourra être pareil.
L’habileté de l’auteur consiste à découper son intrigue en quatre parties dans lesquelles il intègre des chapitres « avant/maintenant ». Par «maintenant », entendez vingt ans après la bataille. Martyn Waites nous offre une galerie de personnages pétris d’humanité, pour la plupart terrassés et cabossés par les événements. Il y a Tony Woodhouse, qui, alors qu’il frappait aux portes de l’équipe première de Newcastle, a vu sa carrière brisée net par un coup de marteau qui n’avait rien d’accidentel. Louise dont la trajectoire ne s’apparente pas à un long fleuve tranquille, Tanya, camée jusqu’à la moelle, Steve Larkin, journaliste revenu dans la région pour écrire sur « Coldwell ». Résignés mais pas abattus, ces gens simples et ordinaires s’accrochent pour conserver ou recouvrer un semblant de dignité et de respectabilité.
Vous en découvrirez d’autres, Tommy Jobson, un truand notoire, redouté pour son absence totale d’états d’âmes, Karl, un dealer à forte tendance psychopathe, Keith, un mari pervers.
Les mélomanes seront comblés ; en effet, l’auteur alimente son roman de très nombreuses références musicales à la musique anglaise des années 1970 et 1980.
Les splendides vers d’Alfred de Musset « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots » sont en parfaite harmonie avec la noirceur du livre récompensé par le Grand prix du roman noir au Festival international du film policier de Beaune.
Pour les abonnés à l’excellente revue 813, numéro 118, avril 2014 (printemps), l’édito d’Hervé Delouche est consacré à Né sous les coups.
Né sous les coups
Martyn Waites
Born under Punches
Traduit de l’anglais par Alexis Nolent
Rivages/Thriller 2013
464 pages