L'île des hommes déchus - Guillaume Audru

Publié le par Jean Dewilde

L'île des hommes déchus - Guillaume Audru

Cela se passe sur Stroma, îlot situé au large de la côte nord de l’Ecosse. Pas bien grand ce caillou, trois kilomètres sur deux. Après avoir officié treize ans dans la police d’Inverness, Eddie Grist, à la demande de son père, Roy, revient sur l’ile qui l’a vu naître pour y reprendre la boutique de souvenirs.

Il n’y a pas grand-chose d’autre à Stroma si ce n’est la conserverie de poissons, la distillerie, un atelier de confection de bonnets, pulls, écharpes et autres gants en laine, cela va de soi, une épicerie et un pub, le Puff Inn. Sans oublier un lieu de culte.

A moins d’y être né ou d’avoir une vie intérieure vachement intense, on ne peut décemment pas vivre sur ces terres balayées par les vents et par la pluie qui, comme chacun le sait, fait partie intégrante du patrimoine écossais. Sans compter l’odeur de la tourbe et les relents de varech. A la limite, une journée ou une demi-journée au départ de Wick où vous prenez le ferry, c’est bien suffisant.

Et pourtant, il va s’en passer des choses sur Stroma. Des ouvriers du bâtiment mettent au jour un squelette enfoui sous la cabane qu’ils venaient de démolir. Ce ne sont pas des ossements datés du jurassique mais un cadavre beaucoup plus récent. A défaut d’être déclarée patrimoine universel par L’UNESCO, Stroma assiste au déclenchement d’une enquête criminelle en bonne et due forme sans précédent au sens littéral du terme.

L’enquête est confiée à Moira Holm, inspectrice de police à Wick. Elle a grandi sur l’île et en connaît tous les habitants.

L’auteur a choisi le roman choral pour nous relater les développements de l’intrigue. Six personnages vont nous parler à tour de rôle. Il faut de l’audace et de la maîtrise pour oser cette narration à voix multiples. Défi parfaitement rencontré.

Dans ce huis clos à haute teneur iodée, on comprend vite que tout le monde sait à peu près tout sur tout le monde et que personne ne sait rien. Pas facile d’avancer au sein de cette communauté d’insulaires où les notables en appellent à la sacro-sainte solidarité, fut-elle factice. La vie est dure, les distractions absentes, le climat peut rendre fou, les gens se replient, se recroquevillent sur eux-mêmes. Des âmes rustres et frustes qui chuchotent et murmurent de crainte qu’on puisse les entendre. Sans oublier la peur mais la peur de quoi ? Peur que quelque chose ne vienne bousculer le (dé)séquilibre établi et qui sied tellement bien à tous, entretenu soigneusement à coups de mensonges, de mutisme et d’oubli ? Peur que la vérité révélée ne mette à mal et anéantisse ce quotidien si rude mais tellement précieux ?

Les personnages brossés par l’auteur sont tous grandioses, même les plus lâches et les plus détestables d’entre eux. Et que dire de cette atmosphère insulaire magistralement restituée.

Je vous recommande vraiment cette perle noire dont j’ai encore du mal à me persuader que c’est un premier roman. Coup d’essai, coup de maître. D’ailleurs, dans les remerciements, Guillaume Audru confie qu’il s’agit d’un travail acharné de plusieurs années et je le crois sur parole.

L’avis de Black Novel (Pierre Faverolle) est ici :

https://blacknovel1.wordpress.com/2014/11/17/lile-des-hommes-dechus-de-guillaume-audru-editions-du-caiman/

L’avis de Passion Polar (Bruno le mulot) est ici :

http://www.passion-polar.com/lile-des-hommes-dechus/

Guillaume Audru est né en 1979 à Poitiers. Il est tombé dans la marmite du polar dès sa prime jeunesse, préférant lire Agatha Christie ou Maurice Leblanc plutôt que Oui-Oui. Et ses études dans le domaine de la logistique, où il a ingurgité Ellroy plutôt que les lectures obligatoires de Maupassant, n'y ont rien changé. Le polar est devenu pour lui une telle religion qu'il a créé le blog désormais incontournable : "Territoires Polars". Et, de fil en aiguille, après plusieurs essais infructueux, il s'est attelé avec un égal plaisir à l'écriture de son premier polar. Aujourd'hui, il travaille pour un grand groupe privé et est aussi le président de l'association poitevine "L'Instant Polar".

L’île des hommes déchus

Guillaume Audru

Éditions du Caïman, 2013

Publié dans Le noir français

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C
Véritable coup de coeur pour moi aussi l'ami Jean. Un huit clos impécable.<br /> Tu as su trouver les mots pour exprimer mon ressenti.<br /> merci monsieur
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J
Si je te comprends bien, Geneviève, j'ai fait la chronique à ta place. T'es pas gênée, toi !<br /> La bise.
V
Mon bon ami Jean,<br /> Je te disais en substance que ce roman devrait me plaire, moi qui aime les histoires qui se passent dans des petites communautés, isolées de tout, un peu comme dans la trilogie écossaise de Peter May, que j'avais adorée...<br /> Amitiés.
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J
Ton commentaire est là et bien là et sois-en remercié. J'ai déjà eu l'envie de lire Peter May mais très honnêtement, je n'en ai pas encore eu l'occasion ou plus simple encore, je n'ai pas pris le temps. Amitiés.