L'ordre et le chaos - Maud Tabachnik

Publié le par Jean Dewilde

L'ordre et le chaos - Maud Tabachnik

Il m’arrive parfois de ne plus savoir quoi lire ou d’avoir envie d’une lecture sans prise de tête excessive, sans trop de personnages, une intrigue simple. Oserais-je dire…je le dis…je franchis la ligne…un page-turner, voilà, c’est dit, un page turner ! Oh le vilain mot, je suis bien d’accord avec vous. Un tourne-disque, on est habitués mais un tourne-pages, alors là, ça ne se dit pas, c’est aussi appétissant qu’une cuillère à soupe de mélasse sur un morceau de Maroilles et encore, il y en a qui aiment ça.

Comment Meryl Close est-elle devenue la criminelle la plus recherchée du Royaume- Uni ? Les explications ne manquent pas : depuis quarante-trois ans, elle vit avec sa mère dans une petite maison dans le Herefordshire en limite du Pays de Galles. Elles travaillent toutes deux dans la même boîte, sa mère comme secrétaire adjointe à la direction, elle comme comptable adjointe depuis ses dix-huit ans. Les week-ends, elle les passe avec sa mère qui a depuis très longtemps renoncé aux petits plaisirs de la vie ; le jour où elle accouchait de Meryl, son fils Gérald se faisait écraser par un camion et son mari venait à peine de la quitter. Sombre tableau. La conséquence, outre la dépression chronique de sa mère, est que Meryl n’a connu ni son frère, ni son père. Sombre tableau, vous disais-je. Comme elle le dit elle-même, « j’étais devenue le fils, la fille, le mari de ma mère, c’est-à-dire personne ». Pour combler sa solitude, elle s’est inventée une amie, anonyme, sa shadow friend.

Sa mère meurt donc quand Meryl a quarante-trois ans. De quoi, mystère…Ses deux premières grandes décisions sans l’aval de sa mère sont de vendre la maison et d’acheter un camping-car. Un chouette camping-car, Pégase qu’elle l’appelle, du haut de gamme, tout confort, car elle dispose d’un joli pactole, la demoiselle. Faut-il du cran pour voyager seule au Pays de Galles a fortiori en dehors de la saison touristique, si tant est qu’il y ait une saison touristique chez les Gallois ? Ou faut-il être barrée, naïve ou les deux ? La réponse tombera très vite sous forme d’un meurtre, le premier d’une série.

L’autre figure de proue du roman est Russel Milland, officier de police autrefois brillant et promis à une très belle carrière. Mais il y a eu les attentats de 2005 dans le métro londonien dans un premier temps et l’exécution, devant ses yeux, de son coéquipier et meilleur ami, Jimmy Dollan dans un second temps. Alors que ce dernier se faisait égorger par un fanatique religieux, Milland a été incapable de sortir son arme et de presser la détente, tétanisé. De chef inspecteur à la police de Londres, section homicides, Milland a été muté à la brigade vols et homicides de Manchester avant d’en être viré et d’échouer à Chester, une ville ennuyeuse ; sur le plan personnel, son épouse l’a quitté très peu de temps après le drame, faute de pouvoir comprendre ce qu’il s’est passé, Milland s’étant enfermé dans un mutisme absolu. Assisté du tout jeune Hugh Larsen, Milland se voit confier une enquête qui par bien des côtés ressemble à un casse-tête. Jo Culloughs, fermier de son état, a été retrouvé empalé sur une fourche et sa fille de douze ans, Mary-Ann, noyée dans un étang proche de la ferme familiale. A des lieues de là, Peter Stilbourough, maire d’un trou perdu répondant au nom d’Oakham, est égorgé dans sa propre maison alors que son épouse et sa fille se trouvaient à l’étage. Personne n’y comprend rien. Vous connaissez cette rengaine : « c’était un type bien, qui assumait avec dévouement son boulot de maire, non, il n’avait pas d’ennemis… ».

L’enquête piétine essentiellement pour deux raisons : les gens sont aussi diserts et loquaces qu’un merlan qui rend l’âme sur le pont d’un chalutier, d’une part, et la brutalité avec laquelle ces crimes ont été commis est sans aucun doute possible l’œuvre d’un homme, d’autre part. Pourtant, le camping-car de Meryl Close a été vu près des scènes de crime.

Le personnage de Meryl Close est formidable : schizophrène, elle trouve à chacun de ses crimes une justification plausible, presque légitime et je confesse que je la comprends assez bien…au début. Par après, bien que je n’aie jamais cessé d’éprouver à son égard une certaine tendresse, je me suis efforcé de prendre un peu de recul, la folie peut-être contagieuse, ne pensez-vous pas ?

Au contact de son jeune et inspiré collègue, Russel Milland retrouve un peu d’allant, d’envie et de vie. Cette enquête qui sort franchement des sentiers battus, il veut la résoudre. Cette chasse, car il n’y a pas d’autre mot, il veut la mener à terme. Ses motivations ne sont pas à chercher dans une quelconque réhabilitation vis-à-vis de sa corporation ou de lui-même, le chant du cygne, ça vous parle ? Mais même le chant du cygne, aussi beau et désespéré soit-il, il y a moyen de le louper.

Certaines scènes très noires m’ont fait irrésistiblement penser aux frères Cohen par leur côté grinçant, décalé et en totale inadéquation avec l’horreur de la situation. Je ne sais pas si telle était la volonté de l’auteure et cela n’a aucune espèce d’importance. Car ces quelques « je ris mais je ne peux pas » font un bien fou et permettent au lecteur de reprendre une goulée d’air pur avant de replonger dans l’âme noircie et le corps meurtri de Meryl Close.

Il y avait belle lurette que je n’avais plus lu un roman de Maud Tabachnik ; l’écriture est sans fioritures et arabesques, terriblement efficace. On sort groggy, éprouvé, au bord du KO de ce road-movie. La violence en est l’une des composantes principales mais n’est jamais gratuite. D’ailleurs, la violence est présente dans tous les romans de cette auteure dont les thèmes de prédilection sont la haine, la stupidité, la lâcheté, l’homophobie, l’antisémitisme, la violence faite aux femmes, la cruauté envers les animaux.

Parmi les titres que j’ai lus, aimés mais pas chroniqués car je n’avais pas encore créé mon blog, je pense à J’ai regardé le diable en face, Mauvais frère, Le cinquième jour, Douze heures pour mourir et Le chien qui riait,…

L’ordre et le chaos

Maud Tabachnik

Albin Michel

Collection Suspense (janvier 2014)

Publié dans Le noir français

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