Les ombres innocentes - Guillaume Audru

Publié le par Jean Dewilde

Les ombres innocentes - Guillaume Audru

Après le très réussi L’île des hommes déchus, http://jackisbackagain.over-blog.com/2015/04/l-ile-des-hommes-dechus-guillaume-audru.html, Guillaume Audru remet le couvert avec Les ombres innocentes également publié aux éditions du Caïman. Autant vous le dire en préalable, ce deuxième polar est tout aussi prenant et réussi que le premier. La différence fondamentale entre les deux est que le premier était une œuvre de pure fiction alors que dans celui-ci, il s’empare d’un fait historique, tragique, un épisode qui s’est étalé sur une vingtaine d’années. Je ne vous en dis pas plus car pour mettre ces faits honteux en mots, l’auteur a choisi le polar comme courroie de transmission. Précaution d’emploi : assurez-vous de ne pas lire la note destinée aux lecteurs que vous trouverez à la fin de l’ouvrage avant de vous plonger dans cette enquête policière, elle prendra toute sa dimension quand vous serez à bout et au bout du roman.

Pour mettre ces faits honteux en mots, l’auteur a choisi le polar comme vecteur et bien lui en a pris. Le premier chapitre nous plonge dans les couloirs lugubres de la clinique psychiatrique des Dômes qui résonnent jour et nuit depuis dix ans des cris et des hurlements d’une de ses pensionnaires, Lucie. Héléna Roussillon, aide-soignante, est la seule à lui manifester encore de l’intérêt. Envers et contre tout et surtout contre tous, elle se déplace chaque fois que Lucie entre dans une de ses crises où elle se lacère et s’automutile. Mais Helena est fatiguée.

Élie Sarrabé, commissaire à la retraite, est un homme d’habitudes. Après sa promenade matinale dans les rues D’Ussel, chef-lieu de la Corrèze, il se plonge dans la lecture du quotidien La Montagne. Rien ne l’intéresse hormis les faits divers dans lesquels, selon lui se situe toute la misère du monde. Ce matin-là, il a l’attention attirée par un titre : MALTRAITANCES SUR UNE PERSONNE AGEE. Plus que les faits décrits, c’est l’identité du vieillard qui le bouleverse : Marcel Chauffour.

Nicolas Jansac, notaire à Mende, se rend comme chaque semaine dans la ferme familiale. En guise de famille, il n’y a plus que sa mère, une femme pas facile à vivre. Inoffensive désormais puisqu’il la trouve pendue à un croc de boucher, le ventre ouvert du pubis au sternum. L’enquête de police échoit au lieutenant Serge Limantour et à l’adjudante Samira Boulmerka. A charge pour eux d’interroger tous ceux dans la région qui, de près ou de loin, ont connu Irène, la mère de Nicolas Jansac. Pour la plupart, des gens de peu de mots, aussi âpres et rudes que le climat et la terre de cette région du centre de l’Hexagone.

Marcel Chauffour, ce nom, Élie Sarrabé ne parvient plus à l’ôter de sa tête. Au volant de son antique Peugeot 205, il retourne même voir Chauffour dans sa ferme de l’Egady à Eygurande. Il en revient l’âme fracassée, déterminé à clamer à la face du monde entier les agissements de Chauffour et ce faisant à se réconcilier quelque peu avec lui-même. Trop vieux, trop usé, il contacte le journaliste responsable des faits divers dans La Montagne. Il se nomme Matthieu Géniès. Pas vraiment un journaliste d’investigation, plutôt un bonhomme sans étoffe, peu enclin à creuser les faits et à remuer la boue. Et pourtant, de la boue, il n’en manque pas dans cette affaire sordide, d’autant plus fétide et nauséabonde que personne ne dit rien et que tout le monde se tait, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Pour mener cette enquête douloureuse à son terme, il y a d’un côté le tandem constitué des policiers Limantour/Boulmerka et de l’autre, la paire formée par Géniès, le fait-diversier et Roussillon, l’aide-soignante.

Que ce soit par la fiction comme dans L’île des hommes déchus ou en choisissant un événement historique récent et dramatique comme c’est le cas dans Les ombres innocentes, Guillaume Audru a la même ambition, celle d’extraire du carcan de silence dans lequel elles ont été délibérément plongées les victimes de la violence bestiale et du cynisme aveugle des hommes. Par ce roman, il contribue aussi au travail de mémoire indispensable.

Puisque je suis enthousiaste, je m’autorise aussi à exprimer un bémol ; l’alliance assez peu crédible constituée par l’aide-soignante, Héléna Roussillon et le fait-diversier Matthieu Géniès met à mal leurs dialogues qui sonnent parfois creux et tombent à plat. Je pense pour ma part que cela est dû au fait que leurs personnalités mais surtouts leurs motivations sont aux antipodes l’une de l’autre.

Je serai sans nul doute au prochain rendez-vous que me fixera Guillaume Audru car j’apprécie énormément les thèmes qu’il aborde et leur traitement en profondeur de même que l’attention qu’il porte à tous ses personnages, bons ou mauvais, principaux ou secondaires.

Je vous propose un autre regard sur le livre avec les chroniques de Pierre et Loley ; je les ai choisis car ils ne parlent pour ainsi dire pas de l’arrière-plan historique du roman.

https://blacknovel1.wordpress.com/?s=les+ombres+innocentes

http://leshootdeloley.blogspot.be/2016/01/les-ombres-innocentes-de-guillaume-audru.html

Les ombres innocentes

Guillaume Audru

Éditions du Caïman 2015

Publié dans Le noir français

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P
Salut mon ami Jean, c'est un sacré deuxième roman que nous concocte Guillaume. Et c'est un livre important à lire. Comme tu le soulignes. Merci pour le lien au passage ! Amitiés
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J
Salut Bob,<br /> Initialement, ma chronique commençait même par un exposé succinct de ce scandale qui a duré près de vingt ans, ce n'est pas rien. J'y ai donc réfléchi et puisque la note aux lecteurs figurait à la fin et non au début du roman, j'ai pris le parti d'en dire le moins possible. Je comprends très bien ton point de vue et tu abordes le livre sous un autre angle. Effectivement, qui a fait quoi et pourquoi, telle est la question. Et j'ai aimé ta chronique. Amitiés.
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B
Salut Jean,<br /> Juste une remarque concernant le thème principal ou la toile de fond (que je ne révèlerai pas ici) abordé par l'auteur pour lequel je me suis interrogé, dois-je en parler ou pas ? J'ai finalement fait le choix de l'évoquer puisque cela ne trahit pas (c'est mon avis) l'intrigue ou le suspense du récit. En effet, l'intrigue se résume à : qui a fait quoi et pourquoi ? On cherche donc le (ou la) coupable et l'on comprend assez vite qu'il s'agit d'une vengeance (on n'est pas dans un thriller pur et dur). Ceci étant révélé, l'histoire horrible de ces victimes (dont tu parles à la fin) sert de support à l'enquête (et à la quête) et personnellement cela n'a gêné en rien ma lecture d'en avoir connaissance. Amitiés.
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J
Hé l'ami Vincent,<br /> Merci d'être passé sur mon blog, cela me fait plaisir. Je te dirai simplement que tu aimeras beaucoup L'île des hommes déchus, le climat aussi épouvantable que les quelques personnes qui peuplent ce bout de terre balayé par les vents, les rideaux de pluie. Odeurs de tourbe et de whisky hors d'âge. Un premier roman qui ressemble à tout sauf à un premier roman. Amitiés.
V
Salut Jean,<br /> J'avais beaucoup aimé moi aussi ce roman. Il y a longtemps que je me promettais de lire l'île des hommes déchus, ce qui n'est pas encore fait. Et tu as entièrement raison, le roman noir ou polar n'est jamais aussi bon que quand il prend à bras le corps les problèmes de notre société.<br /> La bise mon ami.
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J
Avec grand plaisir, Loley.
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L
Merci pour le lien Jean
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