Connemara Black - Gérard Coquet

Publié le par Jean Dewilde

Cet excellent polar s’ouvre sur des funérailles, celles de Jessica McCoy, fille de Zack McCoy, abattue d’une balle dans la tête sur le parking du terminal d’embarquement de Ringaskiddy en Irlande du Sud. Nous sommes en 2001. En ce moment de peine et de recueillement, Zack se rappelle le poème que Jessica aimait à réciter avant de s’endormir :

« Je ne me souviens plus au coin de quelle route

Ma vie a déposé le fardeau de l’espoir ;

Et j’ai tout vu mourir, la foi comme le doute,

La tristesse du jour comme l’ennui du soir. »

Quatre alexandrins magnifiques écrits par Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz, poète lituanien. Nous ne sommes pas à Vilnius mais bien en  République d’Irlande, dans la province du Connacht, comté de Galway, région du Connemara. Une Irlande farouchement nationaliste et indépendantiste. Tourbe, moutons et tourisme ; truites et saumons. Whiskey et Guiness. Galway est la ville la plus peuplée et est bien connue des amateurs de Ken Bruen et de son personnage récurrent, Jack Taylor. Les habitants sont à l’image du relief : violents, déchirés, abimés, rudes, changeants, imprévisibles et silencieux. 

Revenons un instant aux funérailles de Jessica. L’auteur profite de ce rassemblement de circonstance pour passer en revue les principaux protagonistes. Bien vu car si au début vous battez un peu le beurre avec des patronymes nombreux et peu familiers, revenez aux premières pages. Conseil précieux mais c’est loin d’être un casse-tête, je vous rassure. L’héroïne, Ciara MacMurphy, était la meilleure amie de Jessica. Elle a réussi à s’extraire du cloaque sanglant dans lequel l’avait entraîné son mariage avec Fergus O’Brien. L’union avait officiellement duré six mois, mais après trois mois, une mâchoire fracturée et des côtes enfoncées, Ciara s’était tirée à Galway et avait trusté son costume de femme battue pour celui de la Garda, la police locale.

Treize ans plus tard, en 2014, son supérieur Art Grady, lui demande d’aller jeter un coup d’œil à un cadavre encore tout chaud. Celui de Liam Walsh, un ancien de l’UVF*, vraisemblablement impliqué dans l’assassinat de Jessica McCoy. Un mec dont beaucoup pouvaient vouloir la mort et de préférence violente. Pas plus emballée que cela, Ciara doit se colleter en plus comme partenaire ce rouquin de Brian Doyle, le mari de la nièce de la femme de Grady. Walsh a été retrouvé mort chez lui, à Galway. Infiltration massive d’insuline dans la nuque. Une intuition sous forme de volets baissés amène McMurphy à visiter la maison en face de celle de Walsh. Elle y trouve le corps sans vie d’Eva North, tuée de la même façon. Deux cadavres qui en appellent d’autres. Il semblerait qu’un exemplaire du Recueil de haute magie, édition de 1957 d’un certain P.V. Piall soit au centre des convoitises mais ce grimoire ne masque-t-il pas un mobile plus vénal, moins romanesque ?

Pour McMurphy, Galway n’était qu’un hors-d’œuvre. Grady lui donne l’ordre de retourner sur les terres de son enfance et de son mariage. Sans argument à lui opposer autre que ses tripes chantant The Fields of Athenry, elle prend la route direction la petite ville de Clifden. Son ordre de mission, trafic d’armes et de drogue, se heurte au scepticisme pour ne pas dire à l’hostilité du chef de l’antenne locale, un dénommé Stampton. Celui-ci n’a que deux hommes à mettre à sa disposition : Dub Casey et Ron Byrne. Les souvenirs qu’elle avait d’eux n’étaient qu’un amoncellement de crétineries. Elle les avait fréquentés depuis leur adolescence et, mis à part d’êtres aussi inutiles que des vélos dans selles, les deux étaient affublés du QI d’un urinoir.

Gérard Coquet nous livre un polar sombre et puissant. Il ne néglige aucun aspect, les paysages qu’il décrit sont à couper le souffle et la manière dont il les décrit rend magnifiquement hommage à cette nature intacte et envoûtante et qu’il connaît bien. Si Ciara McMurphy est sans conteste le fil d’Ariane du roman, les personnages qui lui donnent la réplique sont à la hauteur. L’espérance de vie de certains d’entre eux est certes courte mais le lecteur n’oublie pas leurs prestations. On ne peut pas écrire un bouquin ayant l’Irlande pour théâtre sans évoquer les conflits fratricides tellement meurtriers et tellement récents. L’âme irlandaise avec ses légendes, ses chansons traverse ce bouquin de part en part. Côté écriture, l’auteur a soigné le spectacle. J’ai évoqué plus haut les descriptions des paysages mais la minutie apportée aux dialogues m’a bluffé. En sport, on parle parfois de temps fort et de temps faible, cela peut arriver aussi dans de très bons livres ; dans Connemara Black, il me semble que chaque ligne, chaque mot a été pesé et soupesé avant de mériter sa place dans le récit sans rien lui enlever de sa spontanéité. La tension reste la même de la première à la dernière phrase. Superbe !

*Ulster Volunteer Force : groupe paramilitaire fondé en 1966 dont l’objectif était de lutter contre L’IRA pour le maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni.

Quatrième de couverture

La Connemara Black est une mouche artificielle permettant au pêcheur de ne jamais rentrer bredouille... C'est également le nom d'un ancien groupe armé de l'IRA, l'Armée Républicaine Irlandaise. Mais c'est aussi le surnom donné aux filles vivant dans cette baie, à l'ouest de l'Irlande. Elles sont souvent très belles mais plus revêches à apprivoiser qu'un poney des tourbières. Ciara McMurphy en est une. Après un mariage raté, elle a fui la région et s'est engagée dans la Garda, la police locale. Mais lorsqu'une série de meurtres balaie la ville de Galway, c'est elle que le commissaire Grady choisit d'envoyer sur ses terres natales afin de surveiller ce qui reste des indépendantistes. Et entre autres le vieux Zack, un chef de clan, un patriarche qui entre terres désolées, légendes d'un autre temps, cimetières abandonnés et ex-combattants de tous bords veille dans l'ombre... Mais sur quoi veille-t-il ?

 

Connemara Black

Gérard Coquet

Éditions Jigal, 2017

Publié dans Le noir français

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Commenter cet article
L
salut mon ami ! mon prochain roman c'est un Jigal, mais j'avais prévu de lire le nouveau roman de Bablon, dont j'ai tellement aimé son tout premier " trait bleu". Mais ta chronique vient me sussurer à l'oreille de ne pas garder celui ci éloigné trop longtemps de ma curiosité !! :)
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J
Mon mulot,<br /> Aucune raison de changer ton ordre de lecture, pourvu que ce soit un Jigal. Je les ai aimés tous les deux. Bablon parvient toujours à créer un univers particulier et j'aime ça; quant à Coquet, l'avis de Vincent et de pas mal d'autres le range dans les tout bon romans et je suis bien d'accord. Amitiés.
V
Salut mon ami,<br /> Comme moi tu as été conquis par le verbe et l'univers de ce polar. Tu étais en pays de connaissance, en tant qu'admirateur de Bruen et de son Jack Taylor. Mais il y a une autre dimension que le noir dans ce polar, une poésie, un romantisme qui viennent tempérer un peu la noirceur de l'histoire.<br /> Belle chronique, en tout cas... <br /> La bise, mon ami. :)
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J
Mon ami Vincent,<br /> Cette dimension poétique que tu évoques, je l'ai effectivement retrouvée dans les descriptions de paysages, dans certains dialogues et dans certains personnages, Ciara McMurphy notamment. Et je me demande si cette poésie empreinte de nostalgie et de mélancolie ne tient pas au caractère insulaire du pays et à l'âme de ses habitants. C'est dit, mal dit peut-être mais je me comprends. Amitiés.<br />