En quête d’Elena – Lise Pradère – Éditions Flamant Noir 2019

Publié le par Jean Dewilde

 

Avec ce titre, Lise Pradère signe un premier polar diablement prometteur. Une intrigue complexe qui tient la route, des personnages qui ont l’épaisseur qu’il faut et des thématiques bien traitées et intéressantes. Il n’en faut pas davantage pour me séduire et je n’ai fait quasi qu’une bouchée d’Elena qui est la vraie héroïne de l’ouvrage. D’où le titre.

Nous sommes à Paris, en plein mois de novembre, pluie, froid et pollution. Le lecteur découvre le cadavre d’Helena à la toute première page en même temps que le commandant Gignac. Pour comprendre ce qui a mené à la mort violente d’Elena, Gignac devra s’intéresser au parcours personnel et professionnel de la jeune femme.

Qui est-elle ? De son nom complet, Elena Vassiliev, célibataire, née le 20 octobre 1985 au Turkménistan, naturalisée française. Géologue, salariée de la société pétrolière Haliotis. Dans l’appartement de la victime, coincé entre le matelas et le sommier, Gignac extirpe un petit cahier en moleskine rouge dont il comprend instantanément l’importance, même si des pages entières manuscrites sont rédigées dans une langue étrangère. Pas de trace d’effraction, Elena connaissait son assassin, selon toute vraisemblance. Un élément qui devrait en principe faciliter le travail des enquêteurs.

Antoine Gignac est un flic expérimenté. La cinquantaine, ancien rugbyman, homme du Sud-Ouest, Gignac a su garder un physique qui impressionne ; svelte, musclé, carré d’épaules, c’est surtout son regard noir qui désarçonne. Il a été marié avec Elsa dont il est divorcé depuis des années. Un fils est né de leur union, il s’appelle Jérôme.

Très rapidement, l’équipe du commandant Gignac identifie des personnes à interroger impérativement au sein de la société Haliotis. A commencer par le supérieur direct d’Elena, Alban de Sauvigny ainsi que Chloé Renault, qui partageait son bureau avec elle. Ces entretiens permettent au commandant Gignac d’esquisser un portrait minimaliste de la jeune femme : une fille super, toujours prête à rendre service, d’humeur égale, réservée, appréciée de tous. Gignac a l’habitude d’entendre cette litanie de louanges dès lors qu’il s’agit d’évoquer un défunt ou une défunte. On ne dit jamais du mal d’un mort ou d’une morte. Il est surtout impressionné par les compétences d’Elena. En charge de la zone Russie/Asie centrale, elle était chargée de l’évaluation du potentiel des permis d’exploitation obtenus ou souhaités par Haliotis. Elle parlait aussi couramment le turkmène, le turc, le russe et un peu de kazakh, sans oublier qu’elle maîtrisait le français et l’anglais. C’est ce qu’on appelle une tête bien pleine.

Par sa collègue Chloé, Gignac apprend qu’Elena avait noué une relation avec un plongeur travaillant sur une plate-forme pétrolière au large de la Norvège. En attendant de pouvoir interroger le numéro 1 d’Haliotis, en voyage d’affaires en Chine, Gignac s’envole vers Oslo. C’est assurément une scène phare du roman que cet interrogatoire mené par le Commandant ; en effet, Yann Le Gourierec est en mission pour dix jours à une grande profondeur et ne peut-être entendu qu’en restant dans son caisson de pressurisation. Une scène quasi irréelle, très visuelle, très réussie aussi. J’aime beaucoup ces anecdotes quand elles s’intègrent dans le récit parce qu’elles nous dévoilent un monde que nous connaissons mal ou pas du tout. Tout le monde sait ce qu’est une plate-forme pétrolière mais personne n’imagine vraiment dans quelles conditions les hommes y travaillent. Pour insolite qu’elle soit, cette scène à elle seule, apporte un surplus de réalisme, les policiers doivent aussi s’adapter parfois aux circonstances.

A peine revenu de son escapade nordique, Gignac prend le TGV à destination de Grenoble. Il veut à tout prix rencontrer Virginie Fournier qui a été l’institutrice d’Elena et qui, à ce titre, l’a bien connue. C’est dans l’Isère que l’enquête prend une tournure beaucoup plus inquiétante. Il y est question de flics ripoux qui obligent des sans-papiers à dealer de la came sous peine d’expulsion, de néonazis, de truands. Et d’un nouveau double meurtre.

Quand lui-même devient une cible, il comprend que le meurtre d’Elena cache des mobiles beaucoup plus puissants. Affaire d’État ? Probable. Gignac sait sur quels appuis il peut compter mais il ne peut prévoir d’où va surgir le prochain coup.

Avec ce premier polar, l’autrice fait mouche. Un scénario complexe dans lequel le lecteur n’a aucun mal à trouver ses repères, des personnages réellement attachants, une bonne distance, ni trop court ni trop long. Une des grandes qualités de ce premier roman réside dans l’écho permanent et subtil que la trajectoire d’Elena évoque chez Antoine Gignac. Sa mère à lui était la fille d’un réfugié espagnol tout comme le père et la mère d’Elena avaient dû fuir le Turkménistan et son régime totalitaire. Il connaît les remous causés par l’exil et est sensible aux spécificités que l’on rencontre chez celles et ceux qui ont dû fuir leur pays natal. De plus, à la page onze, sur la scène de crime initiale, on peut lire : « Gignac eut un coup au cœur : cette petite avait un air de ressemblance avec Elsa, son ex-femme. »

Quatrième de couverture

PUTEAUX, région parisienne. Elena Vassiliev, jeune et brillante géologue, est retrouvée morte dans son appartement, le visage couvert d’ecchymoses, la tête dans une flaque de sang. Le commandant Gignac du SRPJ, policier solitaire et bourru, arrive sur place. Aucune trace d’effraction n’est relevée, mais une fouille rapide lui permet de trouver un carnet contenant des photos et des pages manuscrites, certaines écrites en langue étrangère, mélangées à des croquis et autres éléments ; un objet suspect qu’il va devoir décrypter. Des bureaux feutrés de la Défense, aux vallées oubliées de l’Isère, en passant par une plateforme pétrolière norvégienne, le commandant Gignac tentera d’en savoir davantage sur la victime et ses relations. Mais l’histoire de cette femme, qui fait écho à sa vie personnelle, risque de troubler sa vigilance. Un visage peut en cacher un autre...

 

En quête d’Elena

Lise Pradère

Éditions Flamant Noir 2019

Publié dans Le noir français

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