Et tout sera silence – Michel Moatti – Éditions Hervé Chopin (2019)

Publié le par Jean Dewilde

 

Michel Moatti fait partie de ces écrivains dont je me réjouis toujours de lire leur nouveau roman. Une sorte de familiarité avec l’écriture, une reconnaissance instantanée du langage, l’assurance, toujours, d’une lecture passionnante qui souvent met en lumière des distorsions, des dysfonctionnements de notre société ou des réalités sordides que nous connaissons tous mais que nous avons hélas intégrés dans nos circuits mentaux dans la colonne pertes et profits. Dans Et tout sera silence, Michel Moatti s’empare d’une thématique absolument terrifiante, celle des filières de prostitution clandestines en provenance des pays de L’Est, Pologne, Moldavie, Roumanie, Slovaquie à destination de la capitale britannique. J’oublie, c’est vrai, de vous dire que l’auteur connaît Londres comme sa poche et y situe l’action du roman pendant l’hiver 2019.

Pour mon plus grand bonheur, je retrouve ici les héros fréquentés dans son précédent roman Tu n’auras pas peur (http://jackisbackagain.over-blog.com/2017/02/tu-n-auras-pas-peur-michel-moatti.html), récompensé au festival polar de Cognac comme meilleur polar francophone 2017. A commencer par Lynn Dunsday, web-reporter au Bumper dont elle est la journaliste vedette. Son boss s’appelle Tony Grant et si vous arrivez à la fin du bouquin sans avoir eu envie de lui en flanquer une, c’est que vous  êtes d’un tempérament placide, à tous le moins. A sa décharge, faire tourner un journal, fut-il numérique, exige une énergie de dingue et il n’y a pour ainsi dire aucune place pour les sentiments. Trevor Sugden, journaliste à la retraite et ami de Lynn, fait lui aussi une brève apparition.

Deux grands changements sont survenus dans la vie de Lynn Dunsday, trente-trois ans : elle est en couple avec Andy Folsom qui bosse à la section criminelle de la Metropolitan Police, et elle est enceinte. Autant dire qu’elle va ramer, prise en tenaille entre Grant, qui veut toujours plus d’infos et de première main et Folsom soumis au secret professionnel.

Le livre s’ouvre sur une scène à la fois banale et menaçante. Quelque part en Pologne, une jeune femme rejoint à pied une camionnette. C’est là que le rendez-vous a été fixé. L’homme qui l’attend, elle l’avait imaginé mieux fringué, plus stylé. Et d’ailleurs, dire qu’il l’attend, elle, Magdalena Lewandowska, serait lui faire trop d’honneur. Elle n’est que l’une de ces filles qui sera amenée au terme d’un voyage cauchemardesque à arpenter les trottoirs de Slough, au sud de Londres. Pourtant, elle n’est pas naïve au point de croire que sa petite vie minable va se changer en conte de fée. Travailler dur ne lui fait pas peur et elle n’est pas de ces jeunes écervelées qui pensent qu’elles vont mener la belle vie dans des palaces, des hôtels de luxe dans des endroits paradisiaques. Ce qu’elle ne sait pas, par contre, c’est que le voyage en camionnette vers l’Angleterre a comme premier objectif de briser toute résistance, d’en faire des poupées de chiffon. Coups, humiliations, torture, viols et même meurtre pour l’exemple. Voilà le menu. Leur ôter toute dignité, en faire des bêtes apeurées et aux abois.

Tandis que Lynn Dunsday couvre une vague sans précédent d’agressions au couteau à Londres, Andy Folsom est dépêché sur une scène de crime dans Slough, dans un bar minable, le Moon & Spoon. Une jeune femme a été retrouvée dans les toilettes de l’établissement, un tournevis enfoncé jusqu’à la garde dans la tempe. Ce meurtre d’une violence absolue a été perpétré sans que quiconque ait vu ou entendu quoi que ce soit. Il faut dire qu’à Slough, les gens sont sourds, aveugles ou muets quand ils ne cumulent pas les trois handicaps. Si personne n’est particulièrement pressé de mettre un nom sur le visage de la victime, tout le monde est forcé de constater sans une once d’hésitation que la jeune femme assassinée est la même que celle apparaissant sur les photos de tabloïds montrant une personnalité politique de tout premier plan en train de sniffer de la coke en compagnie de deux prostituées. Anna Kaczor, elle s’appelle, de nationalité polonaise.

Tout comme dans Tu n’auras pas peur, Lynn Dunsday va s’immerger entièrement dans cette enquête, au-delà du raisonnable. Lynn, c’est un électron libre, une vraie tête de mule qui passe allègrement outre les consignes et les mises en garde d’où qu’elles viennent. C’est probablement l’une des raisons qui fait d’elle une journaliste qui sort du lot ; mais Slough, c’est un véritable coupe-gorge, un amalgame de nationalités dont une importante communauté polonaise qui compte dans ses rangs d’authentiques spécimens de suprématistes blancs. Y-a-t’il un lien entre cette frange d’extrême droite et extrêmement catholique et la prostitution forcée ? Lynn, à force d’arpenter les trottoirs, de solliciter les passants et de remuer la boue de Slough va attirer l’attention. Elle réussit la gageure de se mettre à dos son compagnon, son patron et quelques individus au souvenir desquels mes poils se hérissent.

Comme dans toute organisation mafieuse, la loi du silence règne. Et celles qui la transgressent le payent de leurs vies. Lynn le sait, si les langues se délient, il y a moyen de tenter quelque chose. Ce n’est qu’au prix de témoignages de victimes ou de survivantes, quelques rares filles qui ont osé et réussi à échapper à leurs bourreaux qu’elle pourra convaincre Andy et le Crime Command de monter une opération dans Slough. Ces filles ont connu l’enfer et l’image qu’elles s’en faisaient avant de quitter leur pays ressemblait au paradis à côté de ce qu’elles ont traversé. Alors, parler, se confier, balancer, au nom de quoi le feraient-elles ?

Une nouvelle fois, Michel Moatti s’empare d’un sujet qui le fait hurler d’indignation et d’impuissance. Ce n’est pas gratuitement qu’il nous parle de trafic et de traite des êtres humains. A défaut de pouvoir changer les choses, il nous demande simplement d’avoir conscience que de tels criminels existent, prospèrent et s’enrichissent en réduisant en esclavage de tout jeunes gens car, oui, les garçons aussi tombent dans les nasses.

La littérature policière - polar, roman noir, thriller - est un formidable vecteur pour infiltrer les versants les plus noirs de l’âme humaine. Seul l’homme est capable de telles atrocités.

Et tout sera silence est un formidable thriller, sera lu et doit être lu comme tel. Mais gardez à l’esprit que tout ce que vous lirez est inspiré de la réalité.

Extrait de la quatrième de couverture

Grand Londres, hiver 2019. Anna Kaczor est retrouvée assassinée à coups de tournevis et tout le monde s’en fout…jusqu’à ce qu’on découvre que la jeune femme a été impliquée dans un scandale politico-sexuel retentissant. Dès lors, la police et la presse se jettent sur l’affaire dans une grande confusion. Et Lynn Dunsday, web-reporter à la plume aiguisée, décide de remonter la piste.

 

Et tout sera silence

Michel Moatti

HC Éditions 2019

Publié dans Le noir français

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P
Salut mon ami, je l'ai lu évidemment, et mon avis est en gestation dans ma tête car je ne sais pas comment l'aborder ... donc cela va venir. Ceci dit, j'ai lu avec impatience et intérêt le tien, qui est, comme d'habitude très bien écrit et retranscrit parfaitement le roman et son but. Lisez Michel Moatti, ban sang ! Amitiés
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