Le diable n’est pas mort à Dachau – Maurice Gouiran (Éditions Jigal)

Publié le par Jean Dewilde

 

Je vous apporte la démonstration qui veut que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis et accessoirement que je ne suis pas l’un d’eux. Nous avons tous l’un ou l’autre auteur que nous chérissons par-dessus tout et que quoi qu’il ou elle écrive, nous trouverons toujours avec un peu ou beaucoup de mauvaise foi que c’est excellent. L’inverse est vrai aussi et là réside ma situation particulière. J’entretien une relation difficile avec Maurice Gouiran et principalement avec son héros principal récurrent, Clovis Narigou, journaliste d’investigation dont les errements sentimentaux m’agacent au plus haut point.

Et puis, en ce mois de juin 2019, entre deux lectures, je choisis de lire Le diable n’est pas mort à Dachau. Et la magie opère. Est-ce parce que Clovis est absent de cet opus ? En partie, sans aucun doute. Ce bouquin est formidable et devrait être lu par le plus grand nombre. L’intrigue se développe dans deux lieux différents et à des époques différentes et le lecteur se demande à juste titre quels pourraient être les liens entre l’exécution d’un couple et de leur petite fille dans un village paumé de France (nous sommes en octobre 1967) et le camp de détention de Dachau (nous sommes en janvier 1943).

Henri Majencoules, 27 ans, jeune informaticien qui travaille en Californie sur le projet Arpanet (ancêtre de notre Internet), revient dans son village natal d’Agnost-d’en-haut pour les funérailles de sa mère, Suzanne. Il retrouve son père, Léonard, qui n’a jamais compris ni accepté son départ pour les États-Unis. Ils n’ont pas appris à se parler et n’échangent que des propos convenus. Henri n’est là que pour une semaine et l’assassinat d’une famille survenu peu avant son arrivée met le patelin en ébullition. L’auteur restitue magistralement cette atmosphère villageoise où toutes les conversations importantes ont lieu dans l’unique café qui fait aussi pompeusement hôtel-restaurant. Imaginez-vous, trois personnes assassinées dont une petite fille, c’est plus qu’il n’en faut pour alimenter les potins pendant un demi-siècle. Et ce n’est pas l’enquête qui piétine qui va faire taire les rumeurs les plus folles.  

Qui pouvait en vouloir à Paul et Ann Stockton et leur fille Joan ? Personne ne les connaissait vraiment bien, c’étaient des Américains, des étrangers, et à Agnost-d’en-haut, on le lie pas facilement contact avec les étrangers. On ne parle pas non plus volontiers aux policiers et au commissaire Castagnet en charge de l’enquête.

Agnost-d’en-haut compte peu d’âmes mais en raison de son actualité, voit affluer des nuées de journalistes. Parmi eux, Antoine Camaro, un ancien camarade de lycée d’Henri. Il travaille désormais pour France-Soir et est considéré comme un journaliste d’investigation de talent. Plutôt que de chercher qui a tué Paul Stockton et les siens, Antoine et Henri vont plutôt chercher à savoir qui était ce Paul Stockton.

Et le lecteur de se retrouver en janvier 1943 à Dachau. L’auteur porte à la connaissance du lecteur des faits historiques avérés qui ne sont jamais enseignés ni même cités. Aller jusqu’à prétendre que des vérités sont volontairement tues n’a rien d’excessif. A la fin de la guerre, les Américains se sont empressés d’exfiltrer des camps des médecins et des scientifiques nazis pour les rapatrier aux États-Unis. La crainte étant qu’ils tombent aux mains des Russes. Par-dessus tout, ils voulaient bénéficier des connaissances et de l’expertise fine acquise par les nazis qui soumettaient les prisonniers des camps à des expériences inhumaines et effarantes. C’est ainsi que beaucoup d’entre eux se sont offert une virginité et une nouvelle identité en acceptant de travailler dans les laboratoires militaires américains. Et, croyez-moi ou plutôt croyez Maurice, ils ont bien bossé. Maurice a bien bossé aussi, il suffit de jeter un œil à l’impressionnante bibliographie à la fin de l’ouvrage.

Beaucoup des romans de l’auteur sont concoctés à partir de cette recette devenue sa marque d’écrivain : une histoire ou un fait divers fictifs dont l’origine est à chercher dans des événements historiques bien réels, insolites, peu ou mal connus. Manifestement, Maurice Gouiran aime fouiller, mettre au jour les dérives dont seul l’être humain est capable, avec cette dose de cynisme et cette absence de scrupules qui lui sont propres. Les petites histoires recoupent la grande, celle qui se décline avec un H majuscule. Tout son talent réside dans cette capacité phénoménale à intégrer, combiner et fusionner la fiction et la non-fiction dans un mélange harmonieux. L’objectif est ici pleinement atteint car l’équilibre est parfait.

Je termine par cette histoire dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. L’affaire du pain maudit, appelée aussi le mal des ardents ou feu Saint-Antoine. Sorte d’intoxication alimentaire qui serait due à l’ergot de seigle qui a frappé en août 1961 la petite ville de Pont-Saint-Esprit dans le Gard. Il y a eu des morts, des internements, des suicides. C’est tout bonnement passionnant.

J’aime beaucoup les titres des livres de l’auteur en général, ça claque, ça cingle, ça fouette. Quand il intitule cet opus Le diable n’est pas mort à Dachau, vous comprendrez qu’il ne pouvait trouver mieux.

Si vous avez envie en cette période estivale de lire un bon bouquin en apprenant plein de choses édifiantes, ce titre est fait pour vous.

Quatrième de couverture

Lorsque Henri Majencoules, un jeune mathématicien qui travaille en Californie sur le projet Arpanet, revient à Agnost-d'en-haut en 1967, son village natal focalise l'attention de tous les médias du pays : une famille d'Américains, les Stokton, vient d'y être massacrée. Imprégné par la contre-culture qui bouillonne alors à San Francisco du Flower Power à la pop musique et de l'été de l'amour au LSD, Henri supporte mal le silence oppressant de la terre de son enfance. Mais avec l'aide d'Antoine Camaro, son ami journaliste, il va tenter d'en savoir plus sur ce Paul Stokton, son épouse et sa fille assassinés. Il découvre alors l'existence d'un des programmes militaires les plus secrets et les plus audacieux de l'après-guerre... De Dachau à la CIA, de l'US Army à Pont-Saint-Esprit, les hommes changent, les manipulations jamais...

 

Le diable n’est pas mort à Dachau

Maurice Gouiran

Éditions Jigal 2017

Publié dans Le noir français

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P
Salut mon ami, voilà un des excellents romans de cet auteur que j'adore pour sa façon de traiter les faits historiques, comme tu le dis si bien. Amitiés
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J
Merci pour ton commentaire laissé ici. Je lirai d'autres titres de cet auteur également. Je serai heureux d'avoir ton avis sur les titres que tu serais amenée à lire. Amitiés.
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L
J'ai également beaucoup aimé ce roman ! Je ne savais pas que l'auteur avait un personnage fétiche récurrent...merci pour ce complément d'information. A l'occasion je lirais d'autres romans pour me faire une idée de sa personnalité. :) En attendant, ce roman est véritablement noir et troublant, un vrai régal !
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V
Ah, mon ami Jean, tu peux imaginer combien je suis content que tu aies toi aussi apprécié ce bouquin. Maurice Gouiran a un réel talent pour aller fouiller dans notre Histoire et gratter là où ça démange...<br /> La bise, l'ami...
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J
C'est bien la raison pour laquelle je m'accroche . J'en aurais lu beaucoup d'autres dans la présence de Clovis mais il n'y a pas tant d'opus dans lesquels il n'apparaît pas. Et, après tout, je vais peut-être passer outre l'irritation qu'il me procure, va savoir. La bise, mon ami Vincent.